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Spécialisé dans la vente d’œuvres de la Renaissance, le marchand est connu pour avoir été impliqué dans l’expertise de la collection de Paul Rosenberg et pour avoir réalisé des transactions au nom d’Achille Boitel. Il est en contact avec Walter Bornheim, Maria Almas-Dietrich, Walter Andreas Hofer et Bruno Lohse recherchant des œuvres pour Hitler en coopération avec Édouard Larcade et Allen Loebl.

Un marchand réputé actif pendant l’Occupation

Né à Lorient le 21 mars 1875, Yves Perdoux était antiquaire et marchand de tableaux à Paris. D’une première union, il eut quatre enfants : un fils, Yves, mort sous les drapeaux en 1918, et trois filles. Veuf, il vivait avec ces dernières, 6 boulevard Flandrin, dans le XVIe arrondissement, à partir de 1935 environ. En 1943, Perdoux épousa en secondes noces Claire Mertens1. Il effectuait la plupart de ses affaires depuis son domicile. Dès les années 1930, il était présent sur le marché européen, spécialisé dans la vente d’œuvres de la Renaissance. Il travaillait entre autres avec Max Jacob Friedländer (1867-1958), historien d’art issu d’une famille juive de banquiers et négociants, contraint de fuir l’Allemagne nazie. Ce dernier expertisa par exemple pour lui en 1935 un tableau du XVe siècle, Saint Jérôme et Sainte Catherine, comme il l’avait fait quelques années plutôt pour le Kunstsalon de Paul Cassirer à Berlin2. À partir de 1940, Perdoux était propriétaire d’un local dans le VIIIe arrondissement de Paris, situé 6 rue de Téhéran.

Son gendre, Pierre Henri Guynot, né le 15 octobre 1894, marié à sa fille Marguerite, acheta le 15 mars 1942 un magasin d’antiquités et de tableaux anciens et modernes, situé 178 rue du Faubourg-Saint-Honoré dans le même arrondissement. Perdoux paya probablement ce fonds de commerce, sa situation s’étant « sensiblement améliorée » pendant l’Occupation, d’après les archives de la Préfecture de police de Paris. Son domicile et la galerie du faubourg Saint-Honoré tenue par Guynot furent en effet fréquentés par des officiers allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, mais « on ne lui reproche ni dénonciation, ni aucune sorte de propagande en faveur de l’Allemagne » en janvier 19463.

Les enquêtes judiciaires d’après-guerre révèlent cependant que le local de la rue de Téhéran lui avait bien été fourni par Achille Boitel (1898-1944), collaborateur proche de la Gestapo exécuté par la Résistance, pour s’occuper des transactions d’œuvres d’art de l’industriel français avec des marchands allemands et suisses, parmi lesquels Walter Andreas Hofer, Maria Almas-Dietrich, Hans Wendland, Walter Bornheim et ceci en coopération avec des marchands établis en France comme Édouard Larcade et Allen Loebl. Le nom de Perdoux apparaît par ailleurs dans des documents de Carltheo Zeitschel (1893-1945), médecin et diplomate allemand, adressés à l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz, dont il était l’un des conseillers, concernant la spoliation de collections juives et leur expertise, à savoir celles de Paul Rosenberg (1881-1959) et du baron Édouard de Rothschild (1868-1949)4.

La confiscation et l’expertise des collections juives

Perdoux est connu pour avoir été impliqué dans la confiscation et l’expertise de la « collection de Bordeaux » appartenant à Paul Rosenberg en raison de ses relations avec Melchior Antoine Edmée Prévost de Lestang et Paul Arthur Jurschewitz1. Contacté par le marchand de Cologne Hermann Abels (1892-1956) en quête de tableaux modernes, Prévost de Lestang promit, selon ses propos, de lui rapporter des photographies de la collection du marchand juif, parti en exil à New York. Connaissant Jurschewitz depuis 1934, Prévost de Lestang lui demanda de venir à Bordeaux en tant qu’interprète avec l’officier allemand représentant le marchand Abels, le « Dr Zeitschel ». Lors de cette visite au château de Floirac en septembre 1940, l’ensemble de la collection Rosenberg fut confisquée sur ces lieux, une partie des caisses ayant déjà été ouvertes avant l’arrivée des Allemands. Elles furent transférées à l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) et à l’ambassade d’Allemagne. Quelques mois plus tard, en avril 1941, le contenu du coffre de Libourne de la Banque nationale pour le commerce et l’industrie où Rosenberg avait également laissé ses tableaux était également saisi.

Les sources d’archives prouvent cependant que Perdoux ne fut pas à l’initiative de la révélation de l’emplacement de la collection de Paul Rosenberg, dont seul Prévost de Lestang fut responsable, et qu’il ne participa pas à l’expédition de Bordeaux. Chargé des affaires culturelles au sein de l’ambassade allemande, Karl Epting affirmait que Prévost de Lestang était venu

« de son propre mouvement dans mon bureau de Lille à l’ambassade pour me dire qu’il savait où se trouvait une collection française de tableaux qui doit être la collection Rosenberg […] je lui répondis que je transmettrais sa proposition à l’ambassadeur Abetz. Celui-ci décida d’accepter. La rémunération demandée était de 3 000 marks soit 60 000 F auxquels devaient s’ajouter, au cas où les tableaux seraient vendus ou commercialisés d’une manière quelconque, un pourcentage qui n’avait pas été déterminé2 ».

D’après Prévost de Lestang, il ne rencontra pas Epting à l’ambassade mais le retrouva avec Jurschewitz, Abels et Zeitschel dans un café du quai d’Orsay avant le départ pour Bordeaux. D’après Epting, Abels était alors effectivement chargé d’acquérir des œuvres à Paris par le ministère des Affaires étrangères, entre autres pour le palais Bülow à Berlin, alors en rénovation3.

Le rôle de Perdoux se borna par conséquent, après les confiscations effectuées, à accompagner Prévost de Lestang à l’hôtel de Monaco, 57 rue Saint-Dominique dans le VIIe arrondissement de Paris, où la collection saisie avait été entreposée. Depuis 1940, l’hôtel particulier du XVIIIe siècle, siège de l’ambassade de Pologne, était occupé par l’Institut allemand, organisme de propagande culturelle au service de l’ambassade d’Allemagne, aussi dirigé par Karl Epting. L’officier Zeitschel avait en effet repris contact avec Prévost de Lestang, qui déclarait :

« Je n’ai jamais revu Abels mais quelques mois après notre voyage à Bordeaux, l’officier allemand qui nous y avait accompagnés m’a téléphoné de passer à son bureau. Il m’a invité à faire l’estimation des tableaux de Rosenberg. Je n’ai pas cru devoir refuser mais, ne me jugeant pas assez qualifié pour expertiser des tableaux modernes, j’ai demandé à Yves Perdoux de m’assister4. »

Après avoir parcouru deux ou trois salles où figuraient entre autres des tableaux surréalistes et des dessins du XVIIIe siècle, Perdoux déclara immédiatement n’avoir aucune compétence pour les tableaux modernes car il avait reconnu dans les œuvres exposées la collection du baron Rothschild : « Je me suis alors retiré disant à de Lestang qu’il s’agissait de tableaux volés », tout en ajoutant, d’après Prévost de Lestang, à propos de la collection de Paul Rosenberg, qu’il y en avait au moins pour trois millions de francs. Ceci confirmait à Zeitschel les montants d’expertises faites par d’autres marchands5. La collection de Bordeaux fut en effet « estimée par le docteur Welz collaborateur du professeur Ernst » à 3 415 000 F6.

Peu de temps après la saisie de la collection Rosenberg, Jurschewitz obtint 65 000 F d’Epting. Le courtier et interprète affirma avoir touché cette somme en raison de la vente d’un tableau à ce dernier et en aucun cas comme « denier de Judas » servant à rémunérer la dénonciation de la localisation de la collection juive, comme l’affirmaient les enquêtes d’après-guerre. Promettant la divulgation d’une autre collection juive par Perdoux et pour obtenir la rémunération promise, Prévost de Lestang obtint de son côté d’être payé en tableaux pour ses services et ceux de « son homme de confiance » Perdoux. Furent ainsi choisis deux tableaux de Pissarro, Paysage d’hiver et Jardin des Tuileries, ainsi qu’un Renoir, Jeune femme en plein air, d’après une note adressée à l’ambassadeur Abetz le 27 novembre 19407. D’après Perdoux et Prévost de Lestang, ils n’acceptèrent finalement pas ces œuvres.

En somme, si Prévost de Lestang indiqua bien à l’ambassadeur Abetz l’emplacement de la collection Rosenberg près de Bordeaux et conduisit ainsi les représentants de l’ambassade avec le courtier Jurschewitz jusqu’au château de Floirac, le rôle de Perdoux bien que nettement établi dans l’expertise des œuvres est incontestablement plus effacé dans leur pillage.

Les transactions commerciales de Perdoux

D’après son interrogatoire devant la Cour de justice de la Seine, Perdoux fit la connaissance de Boitel au début de la Seconde Guerre mondiale :

« Par la suite, il m’a proposé de faire des affaires de tableaux avec lui car il savait que j’avais des relations dans le commerce de la peinture. J’avais besoin d’un peu d’argent et j’ai accepté. Boitel a mis à ma disposition un bureau dans les locaux qu’il occupait 6 rue de Téhéran1. »

Le marchand touchait des commissions sur les expertises faites pour Boitel, qui n’avait pas de compétences en ce domaine : « Nos conventions étaient les suivantes : en cas d’achat Boitel fournissait les fonds et je devais toucher une partie des bénéfices à la réalisation2. » Cette coopération dura trois ou quatre mois pendant l’année 1942, avant que les deux hommes se séparent pour « incompatibilité d’humeur » et en raison d’un désaccord concernant la vente de tapisseries3.

L’industriel lui montra ainsi un tableau de la peintre de la Renaissance flamande, Catharina Van Hemessen (1528-1588), et l’acheta sur ses conseils 60 000 F ou 125 000 F selon les interrogatoires, Perdoux recevant une commission de 6 000 F en contrepartie. Boitel acquit également chez Rotgé un tableau de Jacob Jordaens (1593-1678) pour 25 000 F, auprès de M. L. Audrand deux grands paysages d’Hubert Robert pour 150 000 F correspondant à une commission de 20 000 F, à Lyon une petite tapisserie de la Renaissance pour 200 000 F, revendue 220 000 F à la galerie Fischer en Suisse avec une commission de 12 500 F pour Perdoux. À Mâcon, Boitel acheta deux diptyques qu’il revendit sans verser de commission à Perdoux, d’après lui, car il n’en avait pas tiré de bénéfice. Huit à dix tableaux furent achetés chez le duc de Lorges pour 200 000 F. Selon Perdoux, un seul de ces tableaux, attribué à Adriaen van Ostade (1610-1685), fut vendu à Maria Almas-Dietrich en mai 1941. C’est grâce aux laissez-passer fournis « par Boitel ou un ami de la Préfecture de Police » qu’il se rendait en province, notamment à Lyon chez Charles Meyer, antiquaire rue Gasparin, à Mâcon guidé par M. Tardigonin (sic) [Tardy-Gonin], antiquaire, et à Monte-Carlo où M. Mory lui indiqua plusieurs affaires, ainsi qu’à Marseille4.

Boitel était en contact régulier avec Hans Wendland qui paraît avoir progressivement remplacé Perdoux dans son rôle de conseiller et d’expert auprès de l’industriel : « Il était un commensal journalier de M. Boitel, ce dernier le tenait en haute considération et faisait de moins en moins appel à mes lumières. » Perdoux le connaissait d’ailleurs depuis 1908 selon ses propos, 1925 selon ceux de Wendland. Il lui écrivait soit à Lugano, soit à Lucerne, ce qui lui valut sa visite à Paris en 1940 : « Je crois me souvenir que peu après cette visite, je lui ai vendu un petit Goya pour une vingtaine de mille francs. » D’après Perdoux, Wendland vint ensuite le voir à plusieurs reprises à son domicile en l’espace de deux ans. Il fit l’acquisition d’un portrait de fillette attribué à Greuze, d’un petit portrait peint sur bois de la fin du XVIe siècle, pour une somme totale avec le portrait de fillette attribué à Goya d’environ 200 000 F, le tableau de Greuze provenant de la collection personnelle de Perdoux selon lui. D’après Wendland, Perdoux lui signala aussi deux tapisseries du XVIe siècle en vente chez Raphaël Gérard, avenue de Messine, dont il fit l’acquisition et qu’il revendit à Walter Hofer ainsi que certains tableaux5.

Plusieurs de ces tableaux furent aussi livrés à Maria Almas-Dietrich, avec qui Perdoux entretint une correspondance directe, lui faisant parvenir régulièrement des courriers en allemand pour le compte de Boitel. Dès le 29 janvier 1941, il écrivait : « Il est urgent que je vous parle et ceci avant que vous parliez à quiconque en tout cas.6 » Se mettant à son service, Perdoux précisait le 20 mars 1941 : « Je me donne beaucoup de peine pour vous procurer des tableaux de premier ordre […] je regrette fort que vous ne puissiez pas venir assez souvent à Paris car, pendant votre absence, il y avait de bonnes affaires à conclure7. » Outre le tableau de van Ostade estimé à 120 000 F le 21 mai 1940, provenant de la collection du duc de Lorges, qui rapporta 6 000 F de commission à Perdoux, il réserva en janvier 1941 pour la marchande au service d’Hitler un tableau attribué à Jan van Scorel, Portrait d’homme, estimé à 375 000 F8 et un diptyque Adam et Ève attribué à Cranach le 8 mars 1941, expertisa un Portrait de fillette de Greuze pour une commission 75 000 F le 5 juillet 1941 et vendit un dessin à la plume du XVIe siècle pour 5 000 F le 16 juillet 1942 pour son gendre9.

Quant à Bornheim, de passage au Grand Hôtel à Paris, Perdoux le rencontra également par l’intermédiaire de Boitel. Il acheta auprès de Perdoux pour le compte de Boitel un paysage Vue de Venise de Guardi, une décoration attribuée à Carlovaris, une marine signée Verstraeten et deux tableaux Vue de Venise par Bellotto le 26 juin 1941 pour 230 000 F, puis le 30 juin 1941 une danseuse de Greuze, le 2 juillet une tapisserie française pour 475 000 F et le 8 juillet 1941 une scène de patinage attribuée à Avercamp pour 220 000 F, acquise au préalable 180 000 F10.

Perdoux travaillait pour Almas-Dietrich en étroite coopération avec Édouard Larcade, qui se rendit à Nice dans le but d’acquérir pour elle deux statues-colonnes du XIIe siècle. Il précisait le 29 janvier 1941 : « Monsieur Larcade ne veut plus rien vendre si ce n’est à vous11. » Deux pastiches de François Boucher représentant un couple d’amoureux furent aussi achetés par son intermédiaire et proposés par Perdoux à Almas-Dietrich, qui les refusa, et furent ensuite vendus à Göring par l’intermédiaire de Hofer12.

Outre Larcade, Perdoux était aussi en relations commerciales avec Allen Loebl, propriétaire juif de la galerie Kleinberger, « aryanisée » sous le nom de galerie Ernest Garin, dont il restait le gérant effectif. Auprès de lui, il tenta d’acquérir par exemple un diptyque Adam et Ève pour Almas-Dietrich en mars 194113. La négociation avec Almas-Dietrich prit plusieurs semaines – sans que l’on sache si elle aboutit – et le diptyque fit l’objet de plusieurs offres, Perdoux précisant le 29 avril 1941 :

« M. Loebl a reçu réponse du musée de Bonn : il y a des difficultés au sujet de l’argent, et on demande un nouveau délai de trois semaines pour le diptyque Adam et Eve. J’aurai de nouveau le tableau en main pour le prix de 250 000 Fr. Si le tableau vous intéresse, il faut que vous ayez l’argent disponible ici pour le 15 mai au plus tard14. »

Dans les œuvres sélectionnées pour le musée d’Hitler à Linz provenant d’Almas-Dietrich figure un tableau, Adam et Ève, attribué alors à Michel Coxie, sans date ni lieu d’achat15. Une facture établie en septembre 1941 par Roger Dequoy à l’intention d’Almas-Dietrich mentionne quant à elle « deux volets représentant Adam et Ève. Provenant de la collection de la Comtesse de Behague auparavant, vente Pelletier à Paris », attribués à l’époque à l’école de Gérard David16. Par l’intermédiaire de Karl Haberstock, deux autres panneaux en bois, aux dimensions différentes, Adam et Ève, provenant de Roger Dequoy et attribués à Jacob van Utrecht puis à l’école de Lucas Cranach, parviennent en Allemagne, Haberstock facturant 32 500 RM au musée de Linz en janvier 194217. Il est ainsi possible que le diptyque acheté au nom de Boitel à Mâcon par Perdoux ait en fait été revendu par l’intermédiaire de Dequoy à Haberstock.

Loebl amena également chez le gendre de Perdoux, Henri Guynot, au 178 rue du Faubourg-Saint-Honoré, plusieurs clients allemands, parmi lesquels Bruno Lohse à qui Perdoux vendit deux tableaux, l’un attribué à Brueghel, Diane et Callisto et l’autre, L’Arrestation du Christ, au maître de l’autel de Beyghem, qui rejoignirent la collection Göring à Carinhall18. Lohse n’avait cependant que peu de confiance dans les compétences de l’antiquaire et se méfiait de ses trouvailles sur le marché de l’art en province19. Suite à sa venue chez son gendre avec Loebl, Perdoux confia aussi à Walter Hofer un tableau représentant « Diogène et sa lanterne », acheté chez un antiquaire de la rue des Saints-Pères. Le marchand ajoutait plus loin dans son interrogatoire : « Rochlitz est venu me voir plusieurs fois mais je ne lui ai rien acheté ni vendu. Hofer est venu me voir une fois avec Loebl ; ils ne m’ont rien acheté. »

Enfin, Perdoux se rendit aussi à Nice à l’hôtel Savoy pour la vente de la collection du banquier anglais de confession juive John Jaffé, confisquée à son décès par le Commissariat général aux questions juives et mise aux enchères les 12 et 13 juillet 194320. Perdoux acquit à vil prix un tableau de Constable, La vallée de la Stour, avec le concours du commissaire-priseur, Me Joseph Terris qui avait, à dessein, sous-estimé les œuvres présentées. Le tableau est sitôt revendu à Felix Mockers, un marchand de Nice, puis à Pierre Garsonnin21. En 1946, le tableau se trouvait en Suisse où la galerie Moos de Genève trouva en René Junod, collectionneur de Neuchâtel, un nouvel acquéreur, ignorant tout de sa provenance. L’œuvre léguée par sa veuve, Madeleine, au musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-fonds en 1986 fut restituée en 201822.

En somme, les transactions régulières et nombreuses de Perdoux avec Almas-Dietrich, Wendland, Bornheim ou Lohse, soit en tant que courtier et expert de Boitel, soit à son propre compte, en font un collaborateur avéré du marché de l’art sous l’Occupation, le marchand étant aussi impliqué dans l’acquisition de tableaux spoliés lors de ventes forcées en province.

Les enquêtes et condamnations d’après-guerre

En raison des multiples collaborations existant entre Perdoux, Boitel, Loebl et Wendland, les enquêtes menées par la Roberts Commission évoquèrent un « syndicat informel », où Boitel aurait joué le rôle de banquier, où Wendland et Loebl auraient assuré les liens avec Göring et Lohse sur le marché parisien, tandis que Perdoux se serait occupé du marché en province1. Parce qu’il vendit des tableaux à Almas-Dietrich et fut en contact régulier avec d’autres marchands tel Hofer, Perdoux fut également soupçonné d’être un agent de Göring, Ribbentrop et Bruschwiller2. Ses liens avec Boitel lui valurent d’être qualifié d’« ardent nazi3 ». Pour tous ces motifs, Perdoux figura sur la liste des marchands ayant fait preuve de collaboration commerciale4.

Sans doute faut-il ici conclure, avec les différents fonds d’archives à l’appui, à l’existence d’une association tacite et officieuse entre ces différents marchands, Perdoux connaissant Wendland et Loebl avant-guerre. Elle ne reposait toutefois sur aucune convention ou accord écrit et était loin d’être aussi organisée qu’incitent à le penser les archives américaines et la littérature secondaire actuelle. Wendland le précisait dans ses interrogatoires : « Je n’avais pas constitué avec Perdoux, Boitel et Loebl un groupe pour l’achat d’œuvres d’art. J’ai entendu parler pour la 1re fois de ce prétendu groupe en Italie quand j’ai été arrêté5. » De même, si la collaboration commerciale de Perdoux est indiscutable, il ne semble pas qu’il ait fait preuve de collaboration militaire ou politique active à l’image de Boitel, qui fut assassiné par la Résistance, et Perdoux ne peut être par conséquent considéré comme un « agent » direct des dirigeants nazis.

À la Libération, il fit ainsi l’objet d’une procédure judiciaire devant le tribunal de la Cour de justice du département de la Seine pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Le 1er juillet 1948, il fut condamné à une amende de 60 000 F et à la « dégradation nationale »6. Probablement en raison de son âge, 72 ans, et de ses problèmes de santé, Perdoux échappa à toute peine d’emprisonnement. Son implication dans la dénonciation de la collection de Paul Rosenberg fut écartée et celle de Prévost de Lestang admise. Le dossier fut ensuite transmis au 1er Comité de confiscation des profits illicites de la Seine, devant lequel il est cité le 20 juillet 1948. Il fut alors poursuivi pour les transactions commerciales illicites « effectuées avec l’ennemi »7.

Les marchandises exportées vers l’Allemagne le furent en effet le plus souvent sans respect des règlements douaniers et ces ventes ne figuraient pas dans la comptabilité de Perdoux, qui à ses dires n’en tenait plus depuis plusieurs années. La totalité des commissions et bénéfices estimés s’élevait à 574 000 F non déclarés, devant être confisqués8. Ne furent retenues à sa charge que les ventes et commissions avec Wendland, Almas-Dietrich et Bornheim, tandis qu’il fut reconnu qu’il n’avait pas reçu de paiement en nature, c’est-à-dire en tableaux, pour l’expertise de la collection de Paul Rosenberg. En août 1949, Perdoux fut aussi condamné à une amende « fiscale » de 500 000 F9.

Le 11 avril 1951, Perdoux avait payé les profits à confisquer, 574 000 F, ainsi que 300 000 F de pénalités, sur la somme totale de 1 074 000 F exigée et demandait, devant ses difficultés à payer, une remise gracieuse sur les sommes restantes qui lui fut refusée10. Il décéda à son domicile parisien le 18 mars 195211.