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D’origine russe, Zacharie Birtschansky vendit plusieurs tableaux à des clients allemands pour financer sa fuite vers le Sud de la France, étant menacé depuis l’adoption des lois portant sur le statut des Juifs. Il fut impliqué dans le premier échange avec l’ERR. Il est parfois confondu avec son frère Léon, antiquaire.

Deux frères, antiquaires et galeristes

D’origine russe, Zacharie Birtschansky était antiquaire et négociant en tableaux. Il se maria avec Alexandra Porokhovnik à Moscou le 12 octobre 1915 et le couple s’installa en France en 19261. En 1931, ils furent naturalisés français2. À partir du 1er janvier 1927, il est établi dans une galerie, sise 88 rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Il travaillait en étroite collaboration avec son frère Léon, qui avait sa propre galerie sise 281 rue du Faubourg-Saint-Honoré3. Ce dernier exerçait la profession de marchand de tableaux à Paris depuis plus longtemps, le journal Le Radical du 14 octobre 1923 signalant une exposition chez M. Birtschansky de « primitifs sur fond or et de tableaux anciens » dans la galerie artistique du 47 rue Laborde dans le VIIIe arrondissement4. Les deux frères sont régulièrement mentionnés dans l’Annuaire de la curiosité et des beaux-arts pendant les années 1930, Zacharie comme antiquaire et Léon comme marchand de tableaux du faubourg Saint-Honoré5.

Le commerce de Zacharie Birtschansky était spécialisé dans la vente d’objets d’antiquités, de tableaux et de gravures des écoles françaises, italiennes et hollandaises des XVIIe et XVIIIe siècles6. Au début des années 1930, la galerie est affectée par la crise7. Dès 1935, les activités reprirent, assurant une soudaine prospérité8. Les frères Birtschansky vendirent ou firent don de plusieurs tableaux aux musées américains, notamment de l’école de Novgorod, de l’école de Moscou et de l’école flamande au Detroit Institute of Arts Museum en 1938 et 19399. Zacharie et Léon Birtschansky firent aussi des propositions de dons au Louvre, entre autres de deux tableaux, l’un de Dumonstier en avril 1938 et l’autre de Magnasco en janvier 1939, qui entra dans les collections10.

Parmi les clients des deux frères se trouvaient avant-guerre de nombreux marchands allemands et suisses. D’après ses déclarations, Zacharie Birtschansky était ainsi en relation d’affaires avec Gustav Rochlitz depuis les années 1930 et avec Hans Wendland depuis les années 192011. Il connaissait aussi Karl Haberstock qu’il informa en février 1939 d’un projet de voyage en Pologne qui lui permettrait de passer à Berlin et de son intention de lui montrer des tableaux, en lui signalant qu’il était recommandé par plusieurs experts et collectionneurs, notamment « von Kuhlmann12 ».

La vente des tableaux et la fuite vers le Sud

À l’arrivée des Allemands à Paris pendant la guerre, Zacharie se cacha étant juif et fut dépossédé de ses biens et de sa nationalité par le décret du 16 février 1942. Son commerce fut géré par un administrateur provisoire à partir du 21 décembre 1940. Il tenta de gagner le Sud de la France et sa femme Alexandra effectua des ventes afin de lui fournir de l’argent, d’après ses déclarations1.

Il reprit ainsi contact avec Haberstock fin octobre 1940 par l’intermédiaire de Théo Hermsen dans l’intention de lui proposer des tableaux2. Son adresse figure aussi dans les carnets de voyages de l’historien d’art Hans Posse, en octobre 1940, avec la mention de deux artistes, Pieter Janson et Hendrik van Balen, dont les toiles ne furent finalement pas achetées pour le musée de Linz3.

Au printemps 1941, il fut impliqué avec Rochlitz et Wendland dans le premier échange effectué par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) entre des tableaux modernes provenant de collections juives spoliées et des tableaux anciens recherchés par Hermann Göring.

En septembre 1941, l’une de ses anciennes clientes, Maria Almas-Dietrich, ressortissante allemande propriétaire d'une galerie à Munich, lui acheta un tableau de Jan van den Heem, Nature morte avec fruit, qui fut ensuite vendu au musée de Linz4. Les échanges entre Birtschansky et Dietrich se poursuivirent, comme en atteste la correspondance entre celle-ci et la femme de Birtschansky jusqu’en mars 19425.

En juin 1941, Léon Birtschansky quant à lui vendit à Göring par l’intermédiaire de Walter Andreas Hofer un tableau d’Albani, Diane et ses compagnons, pour 800 RM6. D’après Joseph Mühlmann, Zacharie Birtschansky lui avait aussi vendu plusieurs tableaux hollandais du XVIIe siècle7. Il acquit par son intermédiaire deux grands paysages de Ricci pour 1 691 074 F8.

Plusieurs sources attestent de la présence des frères Birtschansky dans le Sud de la France à partir de 1942. Léon Birtschansky déclara avoir trouvé refuge à Marseille avec sa famille, grâce à l’aide et à la protection de Jean Dutey qui partit ensuite à Monte-Carlo. Il décrivait ainsi Dutey :

« Je l'ai connu pendant trois ans et demi comme résistant acharné. Je lui ai donné à garder une grande partie de ce que j’avais pu emmener de la zone occupée, ce qui me permit de subsister ainsi que ma famille durant ces années. Il n’a cessé pendant tout ce temps de nous protéger de son mieux afin de nous éviter d’être déportés9. »

En 1942, Zacharie Birtschansky demanda un visa pour les États-Unis qui ne lui fut apparemment pas accordé et resta à Monte-Carlo selon les enquêtes américaines10. En mars 1942, le fils de Léon et neveu de Zacharie, Pierre Birtschansky, est impliqué à Nice avec August L. Mayer dans l’expertise d’un Rembrandt, Portrait d’un vieil homme barbu, d’après le marchand Hans Wendland. Ce dernier acquit plus tardivement ce tableau et le vendit 400 000 francs suisses à Walter Andreas Hofer pour le musée de Linz d’après ses déclarations11.

En 1943, dans le Journal des débats, on pouvait lire que des voleurs avaient dérobé une œuvre du Tintoret à Juan-les-Pins appartenant à Léon Birtschansky, qui fut ensuite signalée en Italie12. Au cours de l’année 1943, l’appartement d’Alexandra et de Zacharie Birtschansky, situé 9 rue Boccador à Paris, fut entièrement pillé et vidé de ses meubles et objets mobiliers par les autorités allemandes d’occupation13. En octobre 1944, Zacharie Birtschansky revint à Paris et obtint la reprise de son fonds de commerce en octobre 194514.

L’échange avec l’ERR et la mise hors de cause des Birtschansky

En 1946, Zacharie Birtschansky dut répondre devant la Cour de justice du département de la Seine de ses relations avec Rochlitz et Wendland, qu’il connaissait respectivement depuis une dizaine d’années et une trentaine d’années, et plus particulièrement de la vente du tableau du Titien et de son implication dans la vente des œuvres spoliées. Il déclara avoir conservé des intérêts dans ce tableau, acheté en commun avec Rochlitz avant-guerre, et affirma que ce dernier avait voulu racheter sa part. Birtschansky lui en demanda 10 000 $1.

La somme étant élevée et réclamée en devises américaines, Rochlitz proposa finalement à Birtschansky des tableaux modernes en échange. D’après Birtschansky, il refusa l’échange car il se doutait qu’il « s’agissait de tableaux volés dans les collections juives » et les deux marchands s’entendirent sur le montant de 7 000 $, soit 260 000 F2. Rochlitz affirma de son côté que Birtschansky avait bien accepté cinq tableaux modernes qu’il conserva à sa demande et qui furent ensuite revendus sur les ordres de Birtschansky à Wendland3.

Rochlitz citait Mère et enfant (Madame Stumpf et sa fille) de Corot, Madame Camus au piano de Degas, une Nature morte (à la corbeille de fruits) de Braque et deux Matisse, Femme endormie et Nature morte. Toujours selon Rochlitz, Wendland acheta au total « six tableaux appartenant à Rosenberg qui lui ont été vendus soit par moi, soit par Birtschansky4 ».

Comme Zacharie Birtschansky possédait aux deux tiers le tableau du Titien, Portrait d’homme, Rochlitz avait en effet accepté un échange en mars 1941 pour pouvoir récupérer le tableau du Titien et le céder à Göring qui refusait de l’acheter en raison du prix excessif demandé. Bruno Lohse lui avait proposé onze œuvres des XIXe et XXe siècles provenant des collections confisquées par l’ERR pour que le Reichsmarschall puisse repartir avec le tableau du Titien5.

Wendland, qui connaissait bien Zacharie Birtschansky, proposa à la galerie Fischer de Lucerne les tableaux de Corot, Braque et Degas acquis par le biais de cet échange avec l’ERR durant l’été 19416. La galerie suisse disposait pour ce faire d’un crédit en France auprès du sculpteur Bernhard A. Böhmer, à qui elle avait confié 3 000 000 F dans le but d’acquérir des toiles impressionnistes sur le marché de l’art parisien.

Pour le compte de la galerie Fischer, Böhmer fournit ainsi la somme demandée pour l’acquisition des œuvres d’art moderne à Wendland. Rochlitz put alors racheter la part de Birtschansky dans le tableau du Titien et Wendland emporter les tableaux modernes en Suisse7. Par conséquent, si Zacharie Birtschansky fut bien impliqué dans ce premier échange entre l’ERR, Rochlitz, Wendland, Böhmer et la galerie Fischer, c’est parce qu’il possédait le tableau en commun avec Rochlitz, non parce qu’il en fut un instigateur.

Le 7 juillet 1947, la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration classa d’ailleurs le dossier de Zacharie Birtschansky car le chiffre d’affaires de ce commerçant avec des clients allemands avait été extrêmement réduit et parce que ces ventes avaient été effectuées dans des conditions non délictueuses, que son nom avait été associé par erreur à celui de Victor Mandl dans les rapports concernant la collection Göring, d’après Michel Martin, et enfin parce que les affaires de Birtschansky se portaient moins bien en 1945 qu’en 19398.

Pour les mêmes raisons, le 27 mai 1948, le comité de confiscation des profits illicites classa également le dossier de Zacharie Birtschansky et celui de sa femme Alexandra, en considérant que les transactions avec Almas-Dietrich pour la somme de 608 000 F avaient bien été effectuées de façon consciente avec l’ennemi et sans licence d’exportation, mais sous la contrainte et qu’elles concernaient probablement leur patrimoine privé, notamment des tableaux qu’Alexandra Birtschansky possédait à son arrivée en France en 19269.

En outre, le couple Birtschansky tenta après-guerre de retrouver des tableaux disparus. Il firent ainsi en 1949 une demande de restitution auprès de la Commission de récupération artistique pour récupérer un portrait du doge de Venise, Pietro Loredano, attribué au Tintoret et retrouvé à Gênes en Italie, apportant la preuve qu’il faisait partie de la collection personnelle d’Alexandra, puisqu’elle l’avait acquis lors d’une vente aux enchères en 1920 et confié pour expertise à Carlo Weilbacher à San Remo en décembre 194210.

Zacharie décéda en 196111. Les dates de mort d’Alexandra et Léon Birtschansky ne sont pas connues de façon certaine à ce jour12. Une galerie Pierre Birtschansky, localisée 156 boulevard Haussmann, fut active dans les années 1960 en tant qu’éditeur et accueillit une exposition "Séraphine de Senlis" en 1962. Il s’agit probablement du fils de Léon, Pierre Birtschansky13. Au début des années 1990, la galerie Pierre Birtschansky tenue par Georges Birtschansky, le fils de Pierre, accueillit plusieurs expositions d’art contemporain. Encore récemment, une vente de dessins et peintures de la galerie Pierre Birtschansky eut lieu à l’hôtel Drouot en 2015, le catalogue mentionnant les liens de parenté entre Léon, Pierre et Georges14.