Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier
13/10/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

C’est à titre de directeur du musée Kaiser-Wilhelm de Krefeld que Friedrich Muthmann réalisa un nombre important d’achats d’œuvres d’art dans la France occupée. Il travailla en étroite collaboration avec Hans Joachim Apffelstaedt, le chef du département de la culture de Rhénanie, et avec des collègues d’autres musées rhénans. Il se rendit en personne plusieurs fois à Paris, où il a pour principal contact Adolf Wüster.

Carrière professionnelle

Muthmann a étudié l’archéologie classique, l’histoire ancienne et l’histoire de l’art à Göttingen, Heidelberg et Berlin. Il a obtenu son doctorat en archéologie classique en 1927 à Heidelberg. Après avoir beaucoup voyagé, notamment en Italie, en Grèce, en France et en Turquie, il a travaillé de 1929 à 1933 au Badisches Landesmuseum de Karlsruhe, comme assistant au département des Antiques. Avant d’être nommé en 1937 à la tête du Kaiser-Friedrich-Museum de Krefeld1, il avait pris en 1933 la succession de Hildebrand Gurlitt à la direction du Kunstverein de Hambourg. C’est probablement son amitié de parti avec le gauleiter de Hambourg qui lui avait valu d’être appelé à ce poste2. Dans son programme, il entendait aussi montrer de l’art relativement progressiste. L’exposition du Künstlerbund qu’il organisa en 1936 fut annulée sur décision d’Aldolf Ziegler lui-même, le président de la Reichskammer der Bildenden Künste [Chambre des beaux-arts du Reich]. Muthmann s’installa ensuite à Krefeld.

Constitution de la collection de Krefeld

À Krefeld, Muthmann eut pour ambition de constituer au Kaiser-Wilhelm-Museum, principalement axé jusqu’alors sur les arts décoratifs, une collection exclusive de peintures qui devait dérouler une coupe représentative à travers l’histoire de l’art du XIXe siècle1. Il se vit offrir l’opportunité de le faire au moment où le marché de l’art français devint plus facilement accessible du fait de l’Occupation, avec la possibilité d’acheter des œuvres de grande valeur à des prix initialement très avantageux. L’idée de Muthmann, c’était de réunir pour Krefeld, ville de l’industrie textile, une collection provenant des grands centres artistiques européens, en choisissant surtout des œuvres figurant de beaux tissus et de beaux costumes ou des peintures à caractère décoratif, qui mettaient l’accent sur la couleur. Il s’agissait en outre de rendre hommage à la peinture de paysage bas-rhénane et à la peinture belge et néerlandaise du XIXe siècle. Il s’employa également à enrichir la collection d’arts décoratifs du musée, à laquelle il adjoignit un département des Gobelins2. Mais ce sont les peintures françaises des XVIIIe et XIXe siècles qui constituèrent plus de la moitié des acquisitions réalisées par Muthmann à partir de 19373.

Coopération avec ses collègues de Rhénanie

Pour Muthmann, il importait que sa collection de peintures de Krefeld pût soutenir la comparaison avec celles des autres musées de Rhénanie1. Il noua à cette fin des relations étroites avec Hanns Joachim Apffelstaedt, le chef du département de la culture de Rhénanie, et avec les directeurs des musées d’Aix-la-Chapelle, de Bonn, de Düsseldorf, d’Essen et de Wuppertal, qui entendaient profiter eux aussi des possibilités d’acquisition offertes par l’occupation des pays occidentaux voisins. On travailla main dans la main, pour mieux venir à bout des complications administratives et logistiques inhérentes aux procédures d’achat.

C’est surtout avec le directeur des musées de Düsseldorf, Hans Wilhelm Hupp, et avec celui du Museum Folkwang d’Essen, Heinz Köhn, que Muthmann était régulièrement en contact. Felix Kuetgens, directeur du musée Suermondt d’Aix-la-Chapelle, qui était stationné à Paris en tant qu’officier du Kunstschutz, la commission de la Wehrmacht pour la protection du patrimoine artistique, lui offrit un indéfectible soutien pour le règlement des questions formelles de licences d’exportation et d’autorisations d’entrée sur le territoire du Reich. Muthmann s’est lui-même rendu plusieurs fois à Paris et il a personnellement accompagné l’un des nombreux transports collectifs d’œuvres achetées par divers musées allemands, de la capitale française jusqu’à Krefeld2. Dans ces convois furent aussi acheminés à l’occasion des objets d’art acquis notamment par Albert Speer, par la marchande d’art Maria Gillhausen ou par la maison d’édition Krüger, à Berlin Nicolassee3.

Contacts à Paris

Natif comme lui d’Eberfeld, le marchand d’art Adolf Wüster, établi à Paris, fut le principal contact de Muthmann avec le marché français de l’art. Les archives du musée de Krefeld conservent une abondante correspondance qui témoigne d’une relation très étroite entre les deux hommes1. C’est par l’entremise de Wüster, auprès de qui Muthmann a aussi acheté directement des œuvres, et de sa femme Nadine que se sont effectués la plupart des démarches d’acquisition et des échanges avec les marchands français. Grâce au couple Wüster, Muthmann a fait par ailleurs la connaissance de leur ami le comte René Avogli Trotti, par l’intermédiaire duquel il put procurer à la Kunsthalle de Hambourg un soi-disant Rubens. Dans sa lettre de remerciement à Trotti, Muthmann parle de ce tableau comme de sa « carte de visite » dans la ville hanséatique. L’œuvre lui a probablement servi lors de ses tractations pour devenir directeur général des musées de Hambourg, une ambition à laquelle il dut cependant renoncer2.

Pour financer les œuvres de premier choix qui devaient constituer la collection de Krefeld, Muthmann a pu bénéficier du soutien des autorités municipales et d’« un cercle de mécènes, au-delà de tout ce qu’il avait pu espérer au départ3 ». Il est même arrivé que le maire de Krefeld, Alois Heuyng, et le trésorier municipal Robert Helm l’accompagnent en personne à Paris pour examiner certains objets et pouvoir régler immédiatement sur place les formalités d’achat4. Parmi les mécènes privés que Muthmann réussit gagner à sa cause, mentionnons entre autres Hermann Lange, le fondateur des Vereinigte Seidenwebereien [Filatures de soie réunies]5.

Voici la liste des marchands d’art français chez qui Muthmann a acheté des œuvres : Étienne Bignou, Paul Cailleux, Raphaël Gérard, Pierre Landry, J.O. Leegenhoek, Jean Lenthal, Alice Manteau, Jacques Matthey, Schmit et Cie, M. Benezit, Martin Fabiani, André Schoeller, le comte Avogli Trotti, G. Aubry, Benatof, Roland Blay, R. Schmit, Grosvalet, Carlhian et Adolf Wüster6.

Après la guerre

En mars 1943, Muthmann est mobilisé, il sera libéré de ses obligations militaires en mars 1945. Il se peut qu’il ait travaillé dans l’intervalle pour l’ERR, ainsi qu’il ressort d’une note sur une des fiches de Douglas Cooper (MFAA)1. Pendant son service, il a été remplacé à la direction du musée par un collègue du nom de Steeger2.

Sous l’égide de Muthmann, le Kaiser-Wilhelm-Museum de Krefeld a réalisé, à côté des musées de Düsseldorf, Essen et Bonn, le nombre le plus considérable d’achats effectués par des collections publiques allemandes en France pendant l’Occupation3. Ces acquisitions ont été rapatriées en France après 1945. 77 objets d’art se trouvent dans le fonds MNR, parmi lesquels une peinture de Maurice Utrillo a pu être restituée aux descendants de ses anciens propriétaires4.

Muthmann avait acquis toutes ces œuvres de manière officielle, avec des crédits municipaux et des dons, mais il a pu les faire sortir du territoire français sans payer aucune taxe, grâce au traitement spécial réservé aux institutions d’État allemandes par les autorités militaires de la France occupée. Avant même que les objets qu’il avait achetés eussent été officiellement réclamés et ramenés en France, Muthmann quitta Krefeld en 1947 pour rejoindre la Suisse, ce qui lui a permis de se soustraire à la dénazification5. Il est entré au service du Musée d’art et d’histoire de Genève, où il s’occupa principalement de l’art de l’époque coloniale espagnole en Amérique latine. Après avoir obtenu en 1950 son habilitation en histoire de l’art à l’Université de Genève, il se mit également à enseigner à titre de privat-docent. À partir de 1954, il travaillé pour le service diplomatique allemand et a été nommé attaché culturel à Berne, puis à Athènes, de 1961 à 1964. En 1966, Muthmann est rentré à Berne, où il a poursuivi ses recherches en archéologie et s’est vu décerner en 1976 le titre de docteur honoris causa. Friedrich Muthmann y est mort en 1981.