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METTERNICH Comte Franziskus (Franz) Florentin Maria Hubertus Ignatius Sylvester Wolff (FR)

17/02/2022 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Le chargé de mission pour la protection du patrimoine dans les territoires occupés auprès du haut commandement de l'armée travaillait en collaboration avec les services français pour préserver les biens artistiques publics des effets de la guerre. S'étant opposé à la « mise en sûreté » [i.e. la confiscation] des biens culturels meubles appartenant pour la plupart à des Juifs, ses domaines de compétence furent réduits, entre autres, à des tâches scientifiques. Il était peu impliqué dans le contrôle du marché de l'art par le Kunstschutz [service allemand des armées pour la protection du patrimoine ; KS]. Il acheta des livres et quelques meubles pour son usage privé.

Famille et carrière professionnelle

Le comte Franziskus Wolff Metternich naquit le 31 décembre 1893 dans le domaine dit Haus Beck, près de Bottrop en Westphalie, dixième enfant et plus jeune fils du Reichsgraf Ferdinand Wolff Metternich zur Gracht (1845-1938) et de la princesse Flaminia zu Salm-Salm (1853-1913). Il grandit dans un milieu très catholique au château de Gracht et à Bonn et suivit très tôt des cours de français. Peu avant le début de la Première Guerre mondiale, il commença des études d'histoire de l'art et de conservation des monuments historiques sous la direction de Paul Clemen (1866-1947) à la Rheinische Friedrich Wilhelm Universität de Bonn, études qu'il reprit en 1919 après avoir servi sous les drapeaux, et qu'il termina en 1923 avec une thèse sur les influences du gothique tardif sur l'architecture profane de la Basse-Rhénanie vers 1500. Il épousa en 1925 Alix Freiin von Fürstenberg (1900-1991), quatre enfants naquirent de ce mariage1.

En 1924-1925, Wolff Metternich participa à la préparation de la Jahrtausendausstellung der Rheinlande [exposition du millénaire des pays rhénans] pour la ville de Cologne avant de devenir, en 1926 assistant scientifique à l'administration provinciale rhénane auprès du Provinzialkonservator [conservateur pour la Province] Edmund Renard (1871-1932). Le 1er novembre 1928, il succéda à Renard en tant que conservateur en chef des monuments historiques, occupant le poste de conservateur pour la Province, puis de Landeskonservator [conservateur régional], sans interruption jusqu'en 1950 ; sa résidence officielle était à l’époque le Amt für Denkmalpflege [office de conservation des monuments historiques] de Bonn, dans la Bachstrasse. Avec son mentor Paul Clemen, le premier conservateur pour la Province du Rhin (1893-1911), qui avait été en charge de la protection du patrimoine pendant la Première Guerre mondiale, Wolff Metternich entretenait une relation étroite – au-delà de la conservation des monuments historiques rhénans, mais également en matière de protection du patrimoine pendant la guerre et d'enseignement à l'université de Bonn. À partir de 1933, Wolff Metternich fut chargé de cours sur la conservation des monuments historiques et l'histoire de l'art rhénan, avant d’être nommé professeur honoraire en 19402.

Activités pendant la Seconde Guerre mondiale

En juillet 1939, Wolff Metternich fut chargé, par courrier secret de l’Oberpräsident [i.e. un haut-fonctionnaire de Prusse détaché dans les différentes provinces, une sorte de préfet] de la Province de Rhénanie, de la protection des œuvres d'art et de la sauvegarde des monuments historiques en cas de guerre ; après le déclenchement de la guerre, l'administration de la Province commença les mesures d'évacuation1. Au début de la campagne de l'Ouest, après élaboration préalable de grandes lignes avec Robert Hiecke (1876-1952), Preußischer Staatskonservator [conservateur en chef des monuments historiques pour l’État de Prusse] auprès du Reichsministerium für Wirtschaft, Erziehung und Volksbildung [ministère du Reich pour l'économie, l'éducation et la formation du peuple ; REM], Wolff Metternich fut nommé en mai 1940 Beauftragter für Kunstschutz in den besezten Gebieten beim Oberkommando des Heeres [chargé de mission pour la protection du patrimoine dans les territoires occupés auprès du haut commandement de l'armée, OKH]. En tant que chargé de mission pour le Kunstschutz, Metternich et son adjoint Bernhard von Tieschowitz étaient rattachés à l'OKH, le personnel du Kunstschutz l’étant à l'administration militaire respective des territoires occupés. Le siège du département de la protection du patrimoine (plus tard département de la protection du patrimoine et de l'archéologie) en France se trouvait à l'hôtel Majestic, avenue Kléber à Paris, où étaient installés le commandement militaire allemand en France et son état-major administratif et de commandement ; les autres collaborateurs du Kunstschutz étaient rattachés aux différentes circonscriptions de l’administration militaire : les circonscriptions Grand Paris, A, B, C, Bordeaux et plus tard celle du sud de la France. Comme le prouve la correspondance avec Hiecke, Wolff Metternich avait une certaine marge de manœuvre dans le choix de ses collaborateurs pour le Kunstschutz. Son choix se porta sur des historiens de l'art, des conservateurs des monuments historiques et des archéologues rhénans, parfois aussi sur des membres du Kunstschutz de la Première Guerre mondiale ou sur leurs élèves qu'il connaissait déjà de ses études à Bonn ou de son environnement professionnel2. Il coopérait et échangeait également avec les services proches à Paris, ceux de la protection des archives et des bibliothèques ainsi que celui de préhistoire et archéologie.

Protection militaire allemande du patrimoine en France

En France, une grande partie des collections d’art publiques avait été évacuée dès avant la guerre, il s'agissait à l'avenir de poursuivre ces mesures de sécurité à travers une collaboration entre services allemands et services français. Selon des notes manuscrites imprécises, dans les tâches qu’avait définies Wolff Metternich pour le Kunstschutz dans le programme initial élaboré en juin 1940, figuraient des mesures de mise en ordre et de protection des objets d’art meubles, un état des lieux (inventaire, campagnes de photos, archives photographiques), la recherche scientifique, l'instruction des troupes sur les monuments à préserver et la propagande (rapports, publications, recherche scientifique avec référence à l'Allemagne)1.

Des controverses portant sur les attributions respectives pour la « mise en sûreté » des biens culturels privés meubles – plus concrètement : les saisies des collections d'art privées, en particulier juives – avec l'ambassadeur allemand Otto Abetz à Paris, le « Sonderkommando Künsberg » et l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg [unité d’intervention Rosenberg ; ERR] marquèrent les premiers mois à Paris2. Wolff Metternich s'efforçait, avec ses collaborateurs et en accord avec l'administration militaire, d'assurer le suivi de ces premières saisies et d'en empêcher d'autres. Il invoquait à cet effet le règlement de la Haye de 1907 sur la guerre terrestre et l'obligation de protéger les biens culturels du pays occupé contre la destruction et le recel. À la suite de ces conflits de compétence, le champ d'action du Kunstschutz fut redéfini par rapport aux activités de l’ERR et restreint à partir de novembre 1940 à la protection des objets d'art fixes et meubles et des bâtiments ayant une valeur historique, ainsi qu'à des missions scientifiques (notamment des campagnes photographiques). Cette volonté de se démarquer par rapport à l'ERR et à ses vols d'œuvres d'art que Metternich désapprouvait se manifeste également dans les rapports d'activité ultérieurs et les documents privés de ce dernier ainsi que dans ceux de quelques-uns de ses collaborateurs, de même que dans leur coopération avec des fonctionnaires français de l'administration des musées et de la culture, afin de préserver les collections publiques françaises évacuées d'une saisie et d'un transport vers le Reich.

Dès le début de son activité de chargé de mission pour le Kunstschutz, Wolff Metternich poursuivit, outre les mesures de protection, l'objectif de mettre à profit la situation d'occupation pour mettre en œuvre et consolider la recherche scientifique, ce à quoi il fut autorisé dès juillet 1940 par un ordre de l'OKH. Pour ce faire, Wolff Metternich et von Tieschowitz étaient en contact étroit avec Alfred Stange et l'Institut d'histoire de l'art de Bonn ainsi qu'avec Richard Hamann (1879-1961) et l'Institut d'histoire de l'art de Marbourg. Le « kunstwissenschaftlicher Arbeitsstab in Frankreich » [le groupe de travail pour l'étude de l'art en France] commença ses activités le 1er octobre 1940, sous les ordres de Wolff Metternich ; il était coordonné par Tieschowitz tandis que la direction scientifique générale en était assurée par Stange en Allemagne. Les travaux comprenaient des campagnes photographiques dans les territoires occupés (nouvelles prises de vue et exploitation des photographies françaises existantes) ainsi que des projets de recherche scientifique3. Les sources montrent également que Wolff Metternich s’efforça très tôt de créer un institut allemand en France. Il en discutait dès novembre 1940 avec Stange, ce qui conduisit finalement à la fondation de la Kunsthistorische Forschungsstätte [centre de recherche en histoire de l'art] à Paris en 1942 sous la direction de Hermann Bunjes4. Le Kunstschutz prit de plus en charge en 1940 et 1941 des voyages d'études pour des conservateurs de monuments historiques, des professeurs d'université et des urbanistes allemands dans les régions occupées de France et de Belgique, ce qui montre encore une fois les effets de synergie que Wolff Metternich cherchait à susciter pour la recherche scientifique entre l'occupation et les mesures de protection des arts5.

Les sources disponibles ne permettent pas d’établir clairement une implication concrète du Kunstschutz dans le commerce et le marché de l'art français et les liens qui auraient pu exister avec le pillage des œuvres d'art par les nazis. Comme nous l'avons mentionné, le contrôle des biens culturels meubles et des collections d'art privées était certes inclus dans la conception initiale du Kunstschutz préparée par Wolff Metternich, mais cette fonction fut rapidement transférée à l'ERR. Parmi les attributions du département du Kunstschutz en France, il y avait cependant bien toujours la surveillance du marché de l'art, la délivrance des autorisations d'entrée au personnel des musées et aux marchands d'art allemands, ainsi que la délivrance des autorisations d'exportation pour les œuvres d'art acquises en France par des Allemands. L'exportation vers l'Allemagne devait ainsi être régulée en collaboration avec les services français. Il est difficile de situer Wolff Metternich en tant qu'acteur de cette configuration. Les documents conservés à ce sujet (par exemple les rapports d'activité, la correspondance et les autorisations d'exportation) sont généralement signés par ses collaborateurs. Les agendas et Journaux personnels aujourd’hui conservés permettent de retracer son implication au niveau personnel, militaire ou politico-culturel et l’existence d’un réseau de relations avec d'autres acteurs du marché de l'art6. Les transactions portant sur certains objets peuvent être reconstituées exemplairement sur la base des autorisations d'exportation à partir des archives des musées ou des marchands d'art. Ces sources disparates renvoient cependant moins à une organisation bureaucratique systématique qui aurait été mise en place par le Kunstschutz qu'à des actions souvent semi-officielles et à des contacts personnels profitables du commerce de l'art avec l'administration culturelle7. À part des achats de livres pour le service des monuments historiques et des rapports portant sur l’organisation dans lesquels les liens entre le Kunstschutz et le marché de l'art ne sont évoqués qu’à la marge, Wolff Metternich lui-même n'est guère visible.

En juillet 1942, Wolff Metternich fut mis en congé et en octobre 1943, démis de ses fonctions militaires. Une lettre du service de sécurité et de la police de sûreté du 20 avril 1943 lui reprochait son « attitude francophile »8. Lors d'une rencontre avec Hermann Göring, le 5 février 1941, devant le musée du Jeu de Paume à Paris, Wolff Metternich s'était prononcé contre le pillage des biens culturels privés et il avait été désavoué par Göring.9 Wolff Metternich s'opposait également au « rapatriement » en Allemagne de biens culturels appartenant à l'État français, du moins tant qu'un traité de paix n'aurait pas été conclu avec la France et que de telles mesures pourraient avoir des conséquences négatives sur la réputation de l’Allemagne et sur les négociations de paix. Par ailleurs, son retour en Rhénanie en tant que conservateur en chef avait été expressément encouragé par la direction nazie de la Province de Rhénanie du fait des destructions toujours plus nombreuses affectant les centres-villes historiques à la suite des attaques aériennes de 1942. De retour en Allemagne, il reprit ses fonctions de conservation des monuments historiques, de protection anti-aérienne et de travaux de sauvegarde qui avaient été assumées pendant ses séjours en France par un suppléant, le Theodor Wildemann, Provinzialbaurat [conseiller provincial au bâtiment, 1885-1962], et il donna de nombreuses conférences sur la protection des œuvres d'art10. Après le congé et le départ de Metternich, c’est von Tieschowitz qui prit la direction du Kunstschutz à Paris, tandis que Wolff Metternich conservait néanmoins une position supérieure dans la hiérarchie, se concertait étroitement avec successeur et se rendit encore à plusieurs reprises dans la capitale française jusqu'en 1944.

La fin de la guerre et l'après-guerre

Fin 1944, Wolff Metternich quitta Bonn et effectua encore quelques voyages sur des sites de sauvegarde en Rhénanie. Jusqu'en mars 1945, il résida avec sa famille au château de Fürstenberg dans le district de Paderborn, qui appartenait aux comtes de Westphalie auxquels il était apparenté. Il fut arrêté le 4 avril 1945 par des officiers américains, interné à la prison de Rheinbach près de Bonn puis libéré dès le 12 avril1. Son contact immédiat avec les officiers américains de la Monuments, Fine Arts and Archives Section (Monuments Men) chargés de la protection des œuvres d'art, puis ses échanges avec les officiers britanniques investis de la même mission et avec l'administration militaire britannique, ainsi que son expertise en matière d’évacuation et de rapatriement des biens culturels permirent à Wolff Metternich de reprendre rapidement ses activités. À cette époque, il avait également déjà rédigé avec von Tieschowitz le rapport d'activité conclusif sur le Kunstschutz que lui avait commandé l'OKH et qu’il pouvait présenter comme une preuve et une justification de ses propres activités pendant la guerre2.

Dès le 2 août 1945, l'administration militaire britannique autorisa la réintégration provisoire de Wolff Metternich. Des lettres de décharge françaises délivrées au cours de l'hiver 1945–1946 représentèrent un soutien important en la matière. Le 14 février 1946, Wolff Metternich fut finalement confirmé par la commission de contrôle britannique, et il put reprendre officiellement son travail de directeur de la conservation des monuments historiques3. La saisie de ses biens privés fut également levée en 1946 et il put récupérer les meubles qu’il avait acquis en France, notamment grâce à une lettre de confirmation de Jacques Jaujard (1895–1967), directeur des Musées Nationaux, avec lequel Wolff Metternich avait coopéré sous l'Occupation pour la protection des collections publiques4. La procédure de dénazification à laquelle il fut soumis dans la zone d'occupation britannique – après des procédures d'appel contre son classement en catégorie IV (« Mitläufer » [suiveur]) en raison de son appartenance au parti nazi5 – aboutit finalement, notamment en raison de son engagement pour la protection artistique des biens culturels français et de son activité de conservateur pour la province de Rhénanie, à un classement en catégorie V (« entlastet » [innocenté]) et à l’établissement du certificat correspondant le 21 avril 19486.

Comme chez de nombreux collègues travaillant dans le domaine de la culture et de la protection des œuvres d'art, le parcours de Wolff Metternich est sans discontinuité. Ainsi, il participera au premier congrès des historiens de l'art de l'après-guerre en 1948 à Brühl où son intervention portait sur la reconstruction ; quelques collègues de l'époque et des milieux autour du Kunstschutz étaient également présents7. Mais l'après-guerre donnera également lieu à des controverses pour des questions de hiérarchie et d’étapes brûlées dans la carrière, Wolff Metternich s'engageant pour une « reconstruction de la conservation des monuments historiques »8. Différentes tentatives pour évoluer en matière de parcours professionnel conduisirent Wolff Metternich, ainsi que von Tieschowitz, au ministère des Affaires étrangères à Bonn, où il dirigea le département scientifique du bureau des affaires culturelles de 1950 à 1952. Il y participa entre autres à des comités internationaux de restitution et put à nouveau mettre à profit ses contacts en France et en Italie. Après de nouvelles controverses institutionnelles et entre collègues concernant un éventuel poste à l'ambassade d'Allemagne à Rome, Wolff Metternich devint en 1953 le premier directeur de la Bibliotheca Hertziana (Institut Max Planck) rouverte à Rome, qu'il dirigea jusqu'à son départ à la retraite en 19629.

En 1964, la France décernait la Légion d'honneur à Wolff Metternich en reconnaissance de ses services dans le domaine de la protection de l'art – l'une de ses nombreuses distinctions pour ses mérites professionnels et ses multiples engagements dans les associations et les milieux spécialisés. Wolff Metternich regagna l’Allemagne, en Rhénanie, en 1968 et décéda le 25 mai 1978 à l'âge de 84 ans.

Wolff Metternich est aujourd’hui encore une personnalité très respectée, notamment en raison de ses liens étroits avec la protection de l'art en France pendant la Seconde Guerre mondiale et de ses mérites pour la protection des biens culturels publics français.