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La maison Brosseron possède un magasin d’antiquités, spécialisé dans l’art du XVIIIe siècle, qui reçoit sous l’Occupation la visite de plusieurs clients allemands dont Hermann Göring, Ernst Holzinger et Walter Bornheim, tandis qu’elle conserve dans son stock des collections appartenant à des familles juives parties en exil comme Wildenstein, Kapferer ou Seligmann.

La maison Brosseron

La maison Brosseron porte le nom de Marcel Brosseron, né le 13 janvier 1895 à Châteauroux. Propriétaire de divers hôtels au Mans, au Tréport et à Bagnoles-de-l’Orne1, il fonde le 30 avril 1927 une société à responsabilité limitée sous la dénomination « M. Brosseron & Cie »2. Cette société a pour objet la « création, l’exploitation, la réorganisation de toutes entreprises commerciales, industrielles ou immobilières ». Le 10 mai 1927, il rachète pour cette entreprise nouvellement créée un fonds de commerce d’antiquités et de meubles anciens situé au 132 boulevard Haussmann à Paris, exploité jusqu’alors par Émile Guggenheim et Moïse Lévy3. Après 1935, le magasin, spécialisé dans l’art français du XVIIIe siècle, déménage au 45 avenue Georges-V, adresse à laquelle il se trouve encore pendant la guerre.

Sous l’Occupation, Marcel Brosseron étant âgé et probablement malade, c’est sa femme Marguerite Audas, née le 16 mars 1888 à Clion dans l’Indre, qui semble diriger les affaires. Elle est assistée dans ses tâches par un expert en objets d’art né en Algérie, nommé Georges Marchand (13 août 1888 - 19 août 1960), qui travaille pour la galerie depuis 1927. Lors de son interrogatoire, la veuve Brosseron déclare qu’il était plus en contact avec les Allemands qu’elle ne l’était. L’expert affirme lui-même : « Il est possible que mon nom soit connu des Allemands parce que lorsque Mme Brosseron était souffrante, c’est moi qui recevais les visiteurs4. » Ceci explique sans doute le fait que la maison Brosseron figure sous le nom de « Brosseron-Marchand » sur le rapport établi par les enquêteurs américains5.

Les ventes

La galerie, fermée de septembre 1939 à 1940, rouvre à la fin du mois de décembre 1940 suite aux décrets de Vichy. Leur établissement étant situé non loin de l’hôtel Georges V, les Brosseron ne tardent pas à recevoir la visite de clients allemands, parmi lesquels Ernst Holzinger et Walter Bornheim. Au début de l’année 1941, le marchand d’Hermann Göring se présente au 45 avenue Georges-V pour connaître le prix d’une tapisserie de la Savonnerie. Le lendemain, comme le relate Marguerite Brosseron, Bornheim se présenta directement à la porte de leur appartement privé :

« L’acheteur qui se présente sous le nom de M. BORNHEIM sonnait à l’appartement personnel de M. BROSSERON Bd Haussmann et fut impressionné dès le vestibule par la quantité de beaux tableaux, tapisseries etc. qui l’ornaient. Il demanda l’origine de ces meubles que nous avions hébergés pour le compte de plusieurs Israélites (Seligmann, Wildenstein, Semame, Morali, André Kahn et surtout Sulzbach)1. »

Pour protéger l’identité des propriétaires juifs à qui appartenaient alors ces tableaux et objets d’art, les Brosseron empruntent les noms d’amis titrés qui n’en sont pas les réels possesseurs2. Ce sont les noms de ces différentes personnalités parfois disparues, comme la duchesse d’Uzès décédée le 3 février 1933 ou le prince Murat, qui figurent sur les factures de Bornheim. Ces éléments expliquent les renseignements fournis par Bornheim au moment de son interrogatoire par les enquêteurs américains3.

En décembre 1945, lors de son interrogatoire par le juge Frapier, Mme Brosseron affirme avoir eu pour 25 millions de francs au moins de biens juifs, appartenant notamment aux Wildenstein et aux Kapferer4. Le 7 février 1947, elle déclare par ailleurs que « le produit des ventes a aidé certains à subsister pendant l’Occupation5 ». Cependant la maison Brosseron réalisa également des ventes d’œuvres achetées auprès de l’aristocratie, telle une œuvre de Philippe de Champaigne, sans doute achetée à la vente du château de Sully à l'Hôtel Drouot et revendue à Bornheim6.

Pendant la période de l’Occupation, Marguerite Brosseron et Georges Marchand sont par ailleurs en contact avec leur confrère Charles Michel à l’occasion de la vente d’un autel portatif pour la somme de 400 000 F. D’abord vendu, puis déclaré faux, il aurait été retourné à son propriétaire. Après 1943, le stock de la galerie est considérablement appauvri et la maison Brosseron ne réalise presque plus aucune vente.

Après la guerre, la société Brosseron fait l’objet de poursuites auprès du Comité de confiscation des profits illicites pour « vente aux Allemands d’objets de collections hors commerce pour 1 141 000 Francs, exportations irrégulières et infraction à la réglementation des changes7 », ainsi que de la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration8 et de la Cour de justice du département de la Seine. Marcel Brosseron, décédé le 16 janvier 19469, y est représenté par sa veuve Marguerite. Le profit illicite réalisé par la maison Brosseron sous l’Occupation est estimé à 490 370 F.

En 1947, la maison Brosseron, puisqu’elle ne semble pas avoir recherché la clientèle allemande, est mise hors de cause par la Cour de justice du département de la Seine10.

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Personne / collectivité