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29/09/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

En tant que responsable de la culture de la Rhénanie, Hans-Joachim Apffelstaedt avait pour mission de « rapatrier les biens culturels rhénans » situés en France occupée. Avec le directeur du Rheinisches Museum à Bonn, Franz Rademacher, et le marchand d’art de Düsseldorf, Hans Bammann, il se rendit ainsi à plusieurs reprises en France pour acheter de nombreuses œuvres d’art, sans rapport parfois avec l’ « art rhénan ». Il a également soutenu d’autres musées de Rhénanie dans leurs acquisitions sur le marché parisien. Son contact le plus important était Adolf Wüster.

Un national-socialiste engagé en charge de la culture en Rhénanie

Hans-Joachim (aussi Hanns-Joachim) Apffelstaedt naquit le 10 juillet 1902 à Münster, où il grandit dans une famille de la grande bourgeoisie. Son père était professeur en médecine dentaire et collectionneur d’art et d’artisanat, de préférence d’origine westphalienne1. Après son baccalauréat, de 1923 à 1931, Apffelstaedt fit des études d’histoire de l’art, d’histoire et d’archéologie, dans les villes de Münster, Munich, Vienne et, pour finir, à Marbourg où, après une interruption, il soutint son doctorat sous la direction de Richard Hamann, en 1933. À partir de 1927, il devint membre du NSDAP et de la SA. Durant ses années d’études à Marbourg, il prit part à l’édification et à l’organisation de la SA de la ville et de la région. En 1933, il fut recruté par Heinrich Haake qui, peu de temps auparavant, avait été nommé à la tête du gouvernement de l’administration régionale de la Rhénanie, et devint le chef du département de la Culture et des Monuments historiques de l’administration régionale de la province de Rhénanie. À ce titre, lui revenait la responsabilité directe du Rheinisches Landesmuseum [Musée régional rhénan à Bonn]2. Sous l’égide d’Apffelstaedt, l’organisation du musée fut réorientée pour être conformée à l’idéologie nazie, le musée fut alors réaménagé et rouvrit ses portes en 1935-19363. Afin d’enrichir ses collections, Apffelstaedt commença à réaliser des achats sur le marché français, aidé en cela par le conservateur du musée des Beaux-Arts, Franz Rademacher, quelques mois après le début de l’occupation de la France par les Allemands.

Le « rapatriement des biens culturels rhénans »

Ces achats allaient de pair avec le profond engagement dont fit montre Apffelstaedt pour « rapatrier » ou « faire revenir à la maison » des biens culturels rhénans. En raison de la situation géopolitique de la Rhénanie, située directement sur la frontière avec la France, où les agressions incessantes entre les deux voisins au cours de l’histoire avaient marqué leurs relations d’une hostilité foncière. L’exigence d’un retour des biens culturels participait d’ailleurs d’une attitude revancharde fort répandue. À l’automne 1939, Apffelstaedt avait remis à Alfred Stange, professeur d’histoire de l’art à Bonn, la charge d’établir une liste des œuvres d’art « pillées » par les Français depuis 1794 en Rhénanie1. Celle-ci fut disponible à l’automne 1940 et fournit des bases essentielles à l’établissement de l’« Inventaire général des biens culturels spoliés » de l’Empire allemand, qui fut dressé à l’initiative du ministère de la Propagande alors sous la direction d’Otto Kümmel2. On distinguait parmi les objets, qui n’étaient inscrits sur la liste qu’« en vue d’éventuelles demandes de réparations », entre ceux « spoliées gratuitement » et ceux qui étaient arrivés en France en passant par le marché de l’art3. En tant que directeur de la Commission pour la recherche du patrimoine culturel déplacé, responsable de la Rhénanie et, par la suite, de la Westphalie également, Apffelstaedt poursuivit le travail et continua à compléter encore la liste déjà établie, même lorsque ledit « rapport Kummel » fut clos et qu’il fut décidé à Berlin, en février 1942, que l’on devait cesser toute autre activité dans ce domaine4.

Les achats pour le musée régional rhénan à Bonn

Dans sa recherche et sa politique d’acquisitions d’œuvres d’art pour le Rheinisches Landesmuseum [Musée régional rhénan], Franz Rademacher ne fut pas le seul à « régulièrement seconder »  Apffelstaedt « en tant que représentant, connaisseur et spécialiste de l’artisanat d’art rhénan1 ». Le marchand d’art de Düsseldorf Hans Bammann également  l’accompagnait souvent dans cette entreprise, en raison de sa bonne connaissance des collections privées françaises. C’est d’ailleurs avec cet argument et cet objectif qu’il put de nouveau obtenir à Bammann une affectation spéciale, lui octroyant une exemption du service militaire2. La Commission fut également soutenue par Heinz Haake, le gouverneur de la Rhénanie, à la mesure de ses moyens, c’est ainsi qu’il proposa un laisser-passer autorisant les « entrées répétées sur le territoire », permettant de cette manière d’éviter les formalités d’entrée sur le territoire coûteuses en temps et en argent3.

Dans la liste des œuvres d’art acheminées depuis la France occupée vers l’Allemagne par la société de transport Schenker et sur laquelle le trio formé par Apffelstaedt, Rademacher et Bammann est désigné sous le nom de « gang du Rhin », le nombre particulièrement élevé d’objets achetés par les musées rhénans est manifeste4. Le département de la Culture et du Patrimoine de la province, que dirigeait Apffelstaedt, assumait aussi l’administration des musées rhénans5. Ainsi entretint-il des liens privilégiés avec les directeurs et collaborateurs des différentes collections des villes de la Rhénanie6 et soutint-il aussi leurs activités d’acquisitions pendant la guerre.

En septembre 1940, Hermann Bunjes – collaborateur du Kunstschutz [Service allemand pour la « protection du patrimoine »] et, au début de l’Occupation, chef du département de la Culture de l’administration militaire à Paris ainsi que chargé de mission de Göring, responsable des œuvres réquisitionnées dans les collections juives – indiqua à Apffelstaedt qu’une « quantité d’objets d’art de valeur issus de collections privées se trouvaient mis en vente  sur le marché de l’art d’ici » et il recommandait la formation d’une commission pour les acquisitions muséales7. Bunjes lui laissait aussi entrevoir la possibilité qu’il expertise lui-même, juste après Göring, les objets réquisitionnés des collections juives8. Toutefois Apffelstaedt ne put jamais avoir un accès direct aux œuvres confisquées. Sa tentative d’acquérir pour Bonn deux tableaux hollandais issus d’une collection juive se trouvant dans un bureau parisien de la SS échoua en raison du droit de préséance de Göring9.

Une coopération avec les musées rhénans et des contacts en France

Apffelstaedt effectua son premier voyage en France entre le 15 et le 23 novembre 1940, il était accompagné de Rademacher ainsi que du directeur du musée de Düsseldorf, Hans Wilhelm Hupp, et de celui du musée Folkwang d’Essen, Heinz Köhn. À son retour, Apffelstaedt fit part au gouverneur Heinrich Haake de sa découverte, à savoir que « se présentaient à Paris et dans d’autres lieux des opportunités exceptionnellement favorables à l’enrichissement des collections d’art de l’Allemagne de l’Ouest1 ».  C’est ainsi que le directeur du musée de Krefeld, Friedrich Muthmann, avec qui Apffelstaedt était également en contact, eut tôt fait de suivre son exemple et que Viktor Dirksen de Wuppertal acheta, lui aussi, dès 1940, ses premières peintures pour son musée. Apffelstaedt fut une voix de poids dans les questions concernant les acquisition faites sur le sol français, c’est ce dont atteste par exemple la correspondance entre Apffelstaedt, Muthmann, Köhn, Hupp et l’intermédiaire Adolf Wüster à propos d’un projet d’échange, en 1942, entre Krefeld et Essen, dans lequel Krefeld veut reprendre pour Essen un Corot acheté à Paris chez Étienne Bignou par Köhn pour le musée Folkwang contre un pastel de Degas, également acheté chez Bignou2. Köhn reste indécis de sorte que Muthmann se plaint qu’il n’accepte :

« de conseil de personne, même pas d’Apffelstaedt. […] C’est seulement que je me faisais une vraie joie de voir aussi arriver ce beau Degas en Rhénanie. Et à Essen, il irait particulièrement bien avec ses belles couleurs claires. Je suis entièrement de l’avis d’Apffelstaedt sur ce point3. »

La plupart des objets acquis en France furent acheminés en Allemagne par des transports groupés mis en place par les musées rhénans. Le directeur du musée Suermondt d’Aix-la-Chapelle, Felix Kuetgens, qui résidait à Paris en tant que conseiller supérieur de l’administration de guerre du Kunstschutz, s’occupait, pour ses collègues, de la gestion administrative des transports ainsi que des formalités compliquées que supposaient les entrées sur le territoire allemand4. Pour ses recherches des biens culturels rhénans, Apffelstaedt était en contact étroit avec les collaborateurs de la Protection des objets et œuvres d’art, pour laquelle œuvraient plusieurs conservateurs des Monuments historiques rhénans placés sous la responsabilité du directeur des affaires culturelles5. Il fut aussi particulièrement soutenu par Kuetgens, ce fut lui, par exemple, qui, avec Carlheinz Pfitzner, délivra la plupart des approbations nécessaires pour les entrées sur le territoire allemand comme pour les sorties du territoire français des acquisitions du Musée régional rhénan6.

Le marchand d’art Adolf Wüster fut l’un des agents de liaison centraux qui permit l’accès aux marchands parisiens avec lesquels Apffelstaedt et son collègue Rademacher entrèrent en contact. Originaire d’Elberfeld, il vivait à Paris depuis les années 1920 et, à partir de 1942, il fut recruté au service l’ambassade allemande ; Apffelstaedt et Rademacher furent souvent ses hôtes lors de leurs voyages entrepris pour réaliser leurs achats. L’épouse de Wüster, Nadine, ainsi que le comte Trotti – marchand d’art lui aussi –, l’ami proche et bailleur du couple, étaient également impliqués dans ces liquidations commerciales. Apffelstaedt témoigna sa reconnaissance pour l’hospitalité et le soutien qu’il reçut de ses contacts parisiens en leur adressant des présents, ce fut le cas notamment pour Nadine Wüster et le comte Trotti7. Il témoigna sa gratitude aussi aux collaborateurs du Kunschutz8.

Certes, pour Bonn, Apffelstaedt s’intéressa en priorité aux « œuvres rhénanes » qui appartenaient aux « plus essentielles collections du Musée régional rhénan, c’est-à-dire l’art rhénan depuis la nuit des temps jusqu’autour de 1500 ainsi que les tableaux rhénans et néerlandais du XVe jusqu’au XVIIe siècle9. » Et cependant sur la liste des acquisitions du Musée régional établie après la guerre figurent aussi des objets décrits comme étant « italiens » ou « français » ainsi que de l’artisanat à l’instar d’ouvrages de porcelaine de Limoges. Les 23 tableaux acquis étaient exclusivement des œuvres flamandes et néerlandaises que Apffelstaedt considérait être de la « même souche » que l’ « art rhénan »10.

L’entreprenant responsable culturel rhénan œuvrait donc aussi bien en tant que chef de la Commission rhénane pour les « Recherches du patrimoine culturel déplacé » que comme acquéreur pour le compte du Rheinisches Landesmuseum à Bonn sur les territoires occupés de l’Ouest, et, ce faisant, entretenait un dialogue continuel de conseil avec ses collaborateurs placés à la tête des autres musées rhénans. Dans le cadre de ces activités, il fit en tout vingt-cinq voyages dans la France occupée et en Belgique11 jusqu’à ce qu’il s’engageât volontairement, le 1er avril 1944, et fût incorporé dans l’armée. Après une rapide intervention en Norvège, il fut déplacé sur le front lituanien. Le 28 juillet 1944, il fut porté disparu.