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02/12/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Chargé de la constitution des collections du Führermuseum projeté à Linz, Hans Posse s’est rendu trois fois en France dans le cadre de cette fonction, afin de sélectionner des œuvres d’art confisquées à des Juifs et d’acquérir des objets sur le marché de l’art, avec l’aide de Karl Haberstock.

Le premier voyage à Paris

Après avoir dirigé pendant de longues années la Dresdner Gemäldegalerie [musée des Beaux-Arts de Dresde], à l’été 1939, Hans Posse fut personnellement chargé par Adolf Hitler, de la constitution d’une collection de peintures pour le Führermuseum Linz [musée du Führer à Linz] ; il assuma également la charge de répartir entre les musées de l’Autriche annexée (Marche de l’Est1) les collections d’art réquisitionnées2. En tant que chargé de mission spécial d’Hitler, il entreprit de nombreux déplacements en très étroite concertation avec le dictateur, et trois d’entre eux se firent dans la France occupée3.

La réunion préparatoire au premier voyage avec Hitler eut lieu le 12 octobre 1940, à la chancellerie du Reich, à Berlin4. Trois jours plus tard, Posse rencontrait à nouveau le Führer, mais à Munich cette fois5. Le 18 octobre, il se rendit à Paris où il descendit à l’Hôtel Ritz sur la place Vendôme6.

Le premier séjour de Posse à Paris fut essentiellement consacré aux biens artistiques juifs saisis7. Le directeur du musée d’Histoire de l’art à Vienne, Fritz Dworschak, qui s’était rendu en France à l’été 1940 en tant que membre du « Comité pour la récupération des œuvres d’art volées par les Français à Allemagne depuis 1794 », lui avait signalé le manque d’un contrôle central. À Paris, Posse contacta tous les services allemands impliqués dans la Sicherstellung [« mise en sûreté », c’est à dire saisie] des biens artistiques confisqués aux Juifs, mais aussi le chef de l’administration militaire, le Kunstschutz [service militaire chargé de la « protection du patrimoine »] et l’ambassade allemande ; il prit connaissance de tous les documents relatifs aux réquisitions et inspecta le dépôt du Louvre aménagé par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) [Unité d’intervention Rosenberg]. 

Comme la recherche sur les spoliations d’art perpétrées par les nazis s’est longtemps concentrée sur le Posse acquéreur pour le compte du futur musée du Führer, l’étonnement fut grand de découvrir que, durant son premier séjour à Paris, il n’acheta qu’un seul tableau8. Mais c’était omettre que les acquisitions faites à Paris à destination du musée du Führer étaient réalisées par le marchand d’art berlinois, Karl Haberstock, et que cela faisait partie de sa fonction décisive de fournisseur du musée des Beaux-Arts de Linz9. Le 25 octobre 1940, Haberstock trouva Posse dans sa chambre d’hôtel et lui présenta vingt-cinq tableaux ; Posse en sélectionna onze qu’il jugea convenir pour le Führermuseum et, dans la foulée, le marchand prit en charge les démarches fort coûteuses en temps concernant leur exportation et leur transport puis les vendit à son compte à la chancellerie du Reich, pour Linz10. Cette division du travail avait dû être décidée en concertation avec Hitler, lequel avait convoqué Haberstock à la réunion préparatoire qui avait eu lieu à la Chancellerie du Reich11. À la différence de Posse, le marchand d’art possédait, en effet, un compte spécial à la succursale parisienne de la Banque de crédit du Reich, alors que Posse ne s’en vit attribuer un qu’au mois de mars 1941, c’est pourquoi Haberstock avait dû lui avancer l’argent pour son unique achat12.

Posse toutefois s’était fait une première idée de l’ensemble de l’offre proposée par le marché de l’art à Paris. Quant aux adresses, c’est la marchande d’art Maria Almas-Dietrich qui les lui fournit13. Dans ses notes de voyage, on trouve celles de Raphaël Louis Félix Gérard, Jules Féral, Yves Perdoux, Félix Mestrallet, Alexandrovich Popoff, Hugo Engel, Dimitri de Gourko, Simon Meller, Roger Dequoy, Victor Mandl, Georges Terrisse, Alexander von Frey, Friedrich Göttler, Rudolf Holzapfel et Jean Schmidt.

Le plus souvent, les offres du marché ne satisfaisaient pas les exigences de qualité de Posse ou lui semblaient trop chères. C’est pourquoi il chercha, en passant par des intermédiaires, à nouer des contacts avec des collectionneurs privés tels que, par exemple, les héritiers du collectionneur d’art Adolphe Schloss, dont il obtint une proposition de 40 millions F pour l’ensemble de la collection14. Mais celle-ci se trouvait entreposée en un lieu inconnu de la France occupée. Haberstock fut missionné pour la rechercher, mais ne parvint cependant pas à la retrouver. Ce n’est qu’après la mort de Posse qu’une partie de la collection passa en la possession d’Hitler à la suite d’une vente forcée15.

Le 16 novembre 1940 à Munich, Posse présenta son rapport à Hitler16. Et les préconisations qu’il y formula – premièrement, d’étendre à toutes les régions occupées par les troupes allemandes le « droit de préemption du Führer »17 ; deuxièmement, de procéder à des achats aussi dans la « zone libre de la France » et, troisièmement, de reprendre les sept peintures réquisitionnées et employées pour décorer l’ambassade d’Allemagne, et de les affecter au musée du Führer18 –, furent toutes suivies des faits. Hitler fit donner des instructions aux services en charge de la spoliation des œuvres d’art, exigeant que Posse soit tenu informé de tout en tant que « chargé de mission spécial du Führer pour la préparation des décisions concernant l’usage des œuvres d’art19 ».

Le deuxième voyage à Paris

Le deuxième voyage en France eut lieu au début du mois de février (du 9 au 20 février 1941) ; Posse passa par Paris pour rejoindre la zone libre, notamment Nice, puis il repassa par Paris au retour1. Il est vraisemblable qu’il ait été voir dans le Sud de la France les œuvres qu’Haberstock avait achetées dans les collections de Paul Graupe & Cie en 1941 par l’intermédiaire d’Arthur Goldschmidt2. Encore une fois, Haberstock avait préparé le terrain pour d’éventuelles acquisitions ; encore une fois, Posse put prendre sa décision d’achat devant les originaux, après quoi, encore une fois, ce fut le marchand d’art qui finalisa l’achat. La procédure fut la même avec les nouvelles acquisitions de Maria Almas-Dietrich, qui les présenta immédiatement après à Posse à Paris. Il n’en retint que deux pour les « objectifs du Führer3 ». Dans son journal de voyage, il compta que le gain de son voyage en France s’élevait en tout à quinze tableaux4

Le troisième et dernier voyage à Paris

La réunion préparatoire au troisième et dernier voyage (du 7 au 14 novembre 1941) eut lieu le 22 octobre 1941 au quartier général du Führer. Posse voyagea de nouveau à Paris en compagnie de Haberstock, tous deux séjournèrent dans des chambres voisines à l’Hôtel Ritz1. Sur son agenda, tout en haut, était inscrit l’achat de la collection de théâtre du réformateur du théâtre britannique Edward Gordon Craig, dont l’acquisition intéressait terriblement l’amateur de théâtre qu’était Hitler et que Posse alla voir à St. Germain-en-Laye, accompagné de son intermédiaire, Bruno Conrad2. Les contacts qu’il eut avec Kurt von Behr et Bruno Lohse de l’Unité spéciale Beaux-Arts de l’ERR suggère en outre que Posse visita le dépôt d’art spolié qui avait été aménagé entre-temps au Jeu de Paume. 

Posse rencontra, en outre, le commissaire-priseur de l’hôtel Drouot, Henri Baudoin, afin de voir au préalable les œuvres d’art qui devaient être proposées aux prochaines enchères et que Karl Haberstock allait, de son côté, devoir acheter sous son ordre du 20 novembre 19413. Dans la galerie de Roger Dequoy, il sélectionna des peintures issues de la collection de Georges Wildenstein, récemment aryanisée avec le concours d’Haberstock, et en négocia les prix. Ces achats furent encore une fois réalisés par Haberstock. Entre-temps, un compte avait été ouvert à la Banque de crédit du Reich pour Posse, permettant à ce dernier d’acquérir trois tableaux qu’il paya directement4. Cependant, dans son journal de voyage, il mentionne l’achat de dix-huit tableaux5. Il est vraisemblable qu’il y eut des critiques à l’encontre des profits importants que faisait Haberstock, en tout cas, ce dernier vendit alors quelques œuvres à prix coûtant à la chancellerie6.

Au printemps 1942, Posse souffrant ne put plus voyager. Cependant, grâce à l’aide de son importante équipe de collaborateurs au musée des Beaux-Arts de Dresde, il réussit à poursuivre ses activités jusque immédiatement avant sa mort, le 7 décembre 1942.  Durant les longs mois que dura son traitement dans une clinique de Wilmersdorf, à Berlin, les rapports avec Karl Haberstock s’intensifièrent encore, et ce dernier continuait à effectuer des achats en son nom sur le marché de l’art français. Magdalena Haberstock joua un rôle décisif en cette affaire, en faisant en sorte que la circulation des informations se poursuivît jusqu’à la fin entre Posse et son mari qui séjournait fréquemment en France7.  

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