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29/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Joachim von Ribbentrop fut le ministre des Affaires étrangères du Reich allemand de 1938 à 1945. Dès les débuts de l’Occupation, Ribbentrop fit saisir des œuvres issues des collections juives par l’intermédiaire d’Otto Abetz, l’ambassadeur allemand à Paris. Lui-même en profita pour sa collection d’art personnelle qu’il enrichissait en faisant également des acquisitions d’œuvres par le truchement de marchandes et marchands d’art ainsi que d’intermédiaires français.

Le rôle que joua le ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop dans la constitution du réseau de pouvoir de l’État nazi a déjà maintes fois été mis en lumière1. Il n’existe à ce jour cependant aucune publication sur ses activités de collectionneur dans la France occupée, lesquelles activités comprennent également un enrichissement au détriment du patrimoine artistique juif.

Un parcours

Né le 30 avril 1893 à Wesel-sur-le-Rhin, Joachim von Ribbentrop travailla après la fin de la Première Guerre mondiale dans l’import-export de vins et de spiritueux. En 1920, il épousa Annelies Henkell, fille du producteur de Sekt, Otto Henkell. Leur villa commune à Berlin-Dahlem devint, dans les années 1920, un haut lieu de la société berlinoise, son engagement politique restait toutefois peu consistant à cette époque et jusqu’au début des années 1930. En 1932, il adhéra au NSDAP ; en 1933, il entra dans la SS. À partir de 1934, il devint un conseiller d’Hitler en matière de politique extérieure et, à partir du mois de juin 1935, il disposa d’un bureau personnel en tant qu’« ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Reich allemand ». En 1936, il fut envoyé à Londres comme ambassadeur puis, le 4 février 1938 enfin, il fut nommé ministre des Affaires étrangères du Reich1.

Au début de l’Occupation, Otto Abetz, qui était employé depuis 1935 au sein du bureau de Ribbentrop comme référent pour la France, fut envoyé à Paris par ce dernier au titre de nouveau « représentant du Reich2 ». Si, en raison de la structure militaire de l’Occupation et de son titre de « plénipotentiaire du ministère des Affaires étrangères », Abetz était tout d’abord placé sous les ordres du commandement allemand militaire en France3, il recevait cependant ses directives directement de Ribbentrop. Il fallut attendre le 3 août 1940 pour qu’il fût nommé ambassadeur allemand par Hitler4.

La politique de confiscation pratiquée par l’ambassade allemande à Paris

Dès le départ, Abetz était en charge d’influer sur la politique culturelle et la propagande, d’œuvrer comme conseiller politique et d’assurer la communication avec le gouvernement de Vichy1. Dans « l’ordre du Führer », il était écrit : 

« a été investi, de la part du ministère des Affaires étrangères du Reich, de la mission […] de faire saisir les trésors artistiques français étant propriété nationale et municipale des musées de Paris et des provinces situées dans les régions sous occupation militaire. Autre mission, faire l’inventaire et procéder à la saisie des biens artistiques juifs dans les zones occupées. Les œuvres de très grande valeur [doivent être] transférées à l’ambassade d’Allemagne à Paris2. »


Tandis que la Protection des objets et œuvres d’art [Kunstschutz] du commandement militaire se refusait à accorder l’accès aux collections d’art nationales françaises3, à partir de l’été 1940, l’ambassade d’Allemagne put visiter un grand nombre de galeries d’art et de collections privées juives et saisir des objets d’art, recevant, dans cette action, d’abord l’appui de la Geheime Feldpolizei [police secrète militaire] puis, par la suite, l’autorisation d’une directive de Ribbentrop ainsi que l’aide du Sonderkommando Künsberg4, dirigé par Eberhard von Künsberg5. Les objets furent acheminés dans les locaux de l’ambassade d’Allemagne dans la rue de Lille et inventoriés6. Après la fin de la guerre, Ribbentrop déclara aux Alliés qu’Hitler lui avait donné pour mission d’enrichir les collections d’art du ministère des Affaires étrangères afin d’en répartir les acquisitions entre l’ensemble des ambassades et les légations7.

Apparemment, Ribbentrop avait aussi transmis ce décret aux hauts responsables nazis, car Hermann Göring avisa par la suite « qu’encore d’autres instances se réclament ici des pleins pouvoirs du Führer, c’est le cas surtout du ministre des Affaires étrangères qui a envoyé, il y a plusieurs mois déjà, une circulaire à tous les bureaux où il a fait savoir […] que la saisie des biens artistiques lui incombait8. Toutefois, en septembre 1940, il fut exigé de l’ambassade qu’elle remette une grande partie des objets collectés à l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) [Unité d’intervention Rosenberg] et il lui fut également interdit de procéder à d’autres saisies9. Joachim von Ribbentrop parvint cependant à transférer quelques objets dans les collections dont il disposait en tant que ministre des Affaires étrangères du Reich, parmi ceux-ci se trouvaient des pans entiers de la propriété de Paul Rosenberg et de Maurice de Rothschild10.


Selon Hector Feliciano, le transfert de compétences de l’ambassade à l’ERR a marqué en quelque sorte un tournant dans la « politique de collecte » du ministère des Affaires étrangères. Abetz et Ribbentrop auraient alors reconnu que les « achats systématiques11 » d’œuvres d’art étaient un moyen pour édifier d’importantes collections et que leurs appétits ne pouvaient être assouvis que par des achats systématiques ». C’est la raison pour laquelle l’objectif devint de constituer une équipe d’experts qui devaient se consacrer exclusivement à l’acquisition d’œuvres sur le marché français. D’après l’état actuel de la recherche, force est de constater que, finalement, seul un très petit nombre d’œuvres d’art fut acquis, pour être directement affecté à la collection de l’ambassade12.


Dans le cas de Ribbentrop, il convient de souligner qu’il n’est pas toujours possible de faire clairement la différence entre sa collection privée, dont la constitution relevait en toute première ligne du pouvoir de décision de son épouse Annelies von Ribbentrop, la collection du ministre des Affaires étrangères et enfin les réserves du ministère des Affaires étrangères, dont il pouvait aussi disposer en tant que ministre des Affaires étrangères du Reich. Comme les réserves du ministère étaient prévues entre autres choses pour une redistribution ultérieure entre les différentes ambassades13, il semble judicieux de considérer les œuvres sélectionnées par Ribbentrop pour ses locaux officiels séparément du reste. Cependant, les sources ne permettent pas toujours d’établir clairement quel était la destination de tel ou tel achat ou encore sous quel prétexte était motivé un voyage destiné à des acquisitions. En outre, certaines œuvres acquises en France pour le ministère des Affaires étrangères furent entreposées dans les appartements de fonction de Ribbentrop à Berlin14, où se trouvaient également des parties de sa collection privée, de sorte que, dans l’espace également, ces différentes collections se recoupaient15.

Achats d’art en France pour la collection privée de Ribbentrop

Dans sa pratique d’acquéreur, Ribbentrop profita de l’Occupation et du changement des conditions du marché qui s’en suivit. Au mois d’août 1940, le marchand d’art de Cologne, Hermann Abels, avait déjà procédé à des offres d’œuvres, pour Ribbentrop, celles-ci furent refusées cependant1. C’est possiblement par le truchement d’Abels que fut établi le contact avec Adolf Wüster2, qui œuvra par la suite comme acheteur pour la collection de Ribbentrop en même temps qu’il travaillait, de manière générale, comme expert en matière d’arts pour le ministère des Affaires étrangères et était engagé à l’ambassade d’Allemagne en tant que consul3. Comme il n’existe aucune documentation globale à propos de ces achats, il est impossible d’établir le nombre exact d’œuvres d’art acquises en France.

Si l’ambition de collectionneur de Joachim von Ribbentrop doit certes être considérée dans le contexte des besoins de représentation d’un pouvoir hiérarchisé propre à la « pratique de domination nationale-socialiste4 », l’ampleur de son action de collectionneur n’est toutefois en rien comparable à celle d’Hitler pour son projet de futur musée à Linz, ni même à celle de Göring pour sa collection privée. Les enquêtes des Alliés fournissent une documentation exemplaire sur la genèse de la collection de Ribbentrop et de sa constitution sur le marché de l’art français. Elle comptait en son sein des œuvres provenant des collections saisies de Maurice et Robert de Rothschild et de Paul Rosenberg. Les Alliés ont identifié des contacts avec des marchands français tels que Martin Fabiani, Raphaël Gérard, Paul Cailleux, Georges Renand (1879-1968) et des acquisitions à l’Hôtel Drouot5.

Joachim von Ribbentrop est cité au nombre des personnalités nationales-socialistes « qui portaient un œil d’expert sur la peinture moderne française et la collectionnait même6 ». À propos de ses préférences en matière de collection, il s’exprimait lui-même, après la fin de la guerre, à l’intention des Alliés en ces termes : 

« Hitler était très strict dans ce domaine précisément et je n’ai pu entièrement le suivre sur ce plan. Nous avons toujours été plutôt amateurs d’art dans notre maison, en particulier ma femme, et dès ces années [1920], à Paris, nous avons acheté toute sorte de tableaux possible qu’Hitler aurait très violemment refusés, je crois. […] Je l’ai [Derain] beaucoup aimé, de même que, au demeurant, j’aime beaucoup tous les autres Français modernes7. »

Ainsi sa collection comptait-elle des œuvres de Claude Monet, Édouard Manet, Gustave Courbet, Jean-Baptiste Camille Corot, Jean-Auguste-Dominique Ingres et Nicolas François Octave Tassaert8, mais aussi des œuvres de Franz Xaver Winterhalter, Hans Thoma, Wilhelm Trübner, Ferdinand Georg Waldmüller, Johann Heinrich Tischbein, Canaletto, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, Antoine Watteau, Théodore Géricault9 et, en outre, un grand nombre de tapis et de tapisseries10.

Œuvres saisies

Toutefois, ce ne fut pas seulement en procédant à des achats que Joachim von Ribbentrop tenta d’acquérir des œuvres pour sa collection personnelle. Outre les œuvres issues des collections de Rothschild, d’autres objets encore provenant des confiscations officielles trouvèrent le chemin de sa collection. Ainsi Adolf Wüster réalisa-t-il deux échanges avec l’ERR. Dans le premier, Wüster obtint des œuvres – une scène de rue de Maurice Utrillo, la représentation d’un lion avec serpent d’Eugène Delacroix et un paysage de forêt de Courbet –, qui avaient été saisies par l’ERR des collections de Paul Rosenberg et Robert Bing, en échange d’une tapisserie, d’une œuvre d’après Art Aelbert Cuyps ainsi que d’un paysage avec chapelle en haut de falaises de Joos de Momper1. L’origine exacte des œuvres fournies par Wüster reste obscure. Bruno Lohse déclara aux Alliés que c’était le marchand d’art suisse, Hans Wendland, qui avait vendu à Adolf Wüster le tableau d’après Art Cuyps ainsi que la tapisserie2, ce que Wendland confirma lui-même3.

Pour sa collection personnelle, Ribbentrop voulait aussi Susanne au bain de Boucher qui se trouvait dans les réserves du Louvre4, c’est la raison pour laquelle, au printemps 1942, Adolf Wüster tenta pour la première fois d’échanger, contre une œuvre du XVIIIe siècle, un stock de tableaux issu d’une collection autrefois propriété juive, elle avait été répertoriée comme « art dégénéré » et conservée à l’ambassade comme monnaie d’échange, ce fut cette collection donc qui était censée être proposée au Louvre comme contrevaleur5. Ce second échange échoua pour finir. Les œuvres confisquées dites « art dégénéré » furent finalement revendues sur le marché de l’art par Wüster à une date encore inconnue6.

Après la guerre

Après la fin de la guerre, les Alliés retrouvèrent une réserve d’une cinquantaine d’œuvres d’art issues de la collection de Ribbentrop. Dans le cadre de ses déclarations faites aux Alliés, Adolf Wüster contribua à la reconstitution de leur provenance et à leur restitution ; l’architecte d’intérieur de l’ambassade d’Allemagne à Paris Paul von Waldthausen livra, lui aussi, des informations et aida à l’identification de certaines tapisseries et de Gobelins que le couple Ribbentrop avait acquis1.

Le 14 juin 1945, Joachim von Ribbentrop fut arrêté à Hambourg par des soldats britanniques. Au Tribunal de Nuremberg, il fut inculpé comme haut criminel de guerre. Dans ce cadre, il fut aussi interrogé, mais dans une moindre mesure, sur ses activités en tant que collectionneur et sur sa relation à l’art, mais lui-même se présenta, cependant, comme un collectionneur relativement modeste et un amateur de l’art moderne2.

Joachim von Ribbentrop fut condamné à mort le 1er octobre 1946, la sentence fut exécutée le 16 octobre 1946.