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29/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

En tant que directeur du Museum für Kunsthandwerk de Francfort, Walter Mannowsky, effectua, avec d’autres directeurs de musées de Francfort et le soutien actif du maire de la ville, plusieurs voyages d’affaires à Paris où il fut en contact avec de nombreux responsables nazis du pillage d’œuvres d’art.

Acquisition de biens saisis de force et « achats à l'étranger »

Georg Julius Walter Mannowsky dirigea le Museum für Kunsthandwerk [musée des arts décoratifs] de la ville de Francfort-sur-le-Main1 de 1938 à 1948. En tant que directeur du musée, il put disposer de moyens considérables pour enrichir les collections du musée. Ainsi, en 1938, à la suite de la Nuit du pogrom dite « nuit de Cristal2 » le musée acquit une grande part des plus fameuses collections de Francfort, comme celle, par exemple, de Maximilian von Goldschmidt-Rothschild. En 1939, le musée acheta à un prix avantageux de précieuses pièces d’argenterie à la banque de crédit municipale. Celles-ci provenaient en l’occurrence de Zwangsabgaben [« taxes obligatoires »] imposées à des citoyennes et citoyens victimes de persécutions en tant que juifs. Pour les achats d’art dans les territoires étrangers occupés par les troupes allemandes, Friedrich Krebs (1894-1961), le maire de Francfort, accorda des fonds spéciaux considérables en faveur des musées de la ville, suivant en cela les recommandations de Mannowsky. Ainsi, les « achats à l’étranger » que Mannowsky, missionné par le maire, effectua en France et en Hollande (1940-1944), enrichirent-ils considérablement les réserves des musées de la ville.

Voyages d’achats à Paris

Mannowsky entreprit en tout sept déplacements à Paris et, procédant par voie d’achat ou d’échange, il acquit là-bas, auprès des marchands d’art recommandés, 120 objets d’artisanat et quelque 175 nouvelles acquisitions pour la collection d’art graphique1. Il acheta également un nombre particulièrement important d’objets artisanaux auprès de galeries telles que Kalebdjian, Garabet-Kevorkian, Recher et Vandermeersch ; il acquit en outre un grand nombre de dessins et gravures chez Neuville et Vivien, Prouté et Rousseau. Il arrivait parfois que Mannowsky recourût à l’entreprise de transport de Gustav Knauer à Paris pour procéder à l’enlèvement des objets chez les galeristes et à leur expédition. Des rapports rédigés à la suite de ses déplacements, des listes, des factures, des échanges épistoliers, jusqu’à des notes prises à la va-vite, sont autant de documents qui attestent des acquisitions sur le marché de l’art à Paris, des évolutions de ce marché ainsi que des contacts importants de Mannowsky et des galeries avec lesquelles il faisait affaire2.

À propos de son premier voyage à Paris, qu’il entreprit en décembre 1940 avec Ernstotto, comte de Solms-Laubach (1890-1977), directeur du Stadtgeschichtliches Museum [Musée historique de la ville], il rapporte : 

« À Paris, chez les petits marchands et les marchands de moyenne importance, […] il y a une surabondance de marchandises qui, en raison des ventes d’œuvres issues des collections privées, se trouve en constante augmentation […]. On peut faire aujourd’hui des acquisitions à des conditions très avantageuses3. »

Ils achetèrent « des sculptures antiques et médiévales, des céramiques antiques, des meubles, des tapisseries murales, des porcelaines allemandes, de l’argenterie, des antiquités chinoises et d’autres choses encore4 ». Dès le mois de février 1941, les deux directeurs de musée retournèrent à Paris en compagnie, cette fois, de Ernst Holzinger (1901-1972), à l’époque directeur de l’Institut d’art Städel5. Sur ordre de Krebs, ils devaient se présenter à Paris chez Franz Florentin Maria comte Wolff-Metternich de Gracht (1893-1978), directeur du Militärischer Kunstschutz de la Wehrmacht [service de protection du patrimoine auprès de l’armée allemande] en France, à l’Hôtel Majestic, au 42 avenue Kléber, et « user de son entremise pour réaliser leurs missions6 ». Le maire leur donna également comme instruction d’aller se présenter à Günther Schiedlausky, membre de l’office de la Protection des objets et œuvres d’art et collaborateur de l’ Unité d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg (ERR) au Jeu de Paume7.

C’est ainsi que Mannowsky noua très tôt des contacts importants avec le monde de l’art nazi à Paris, dont faisaient partie aussi des personnalités telles que le prince Youssoupov et Rudolf Holzapfel, lequel joua un rôle fondamental en tant qu’intermédiaire dans l’achat et le stockage des objets nouvellement acquis pour le musée8. Même pour l’organisation du transport des nouvelles acquisitions, Mannowsky sollicita le soutien d’acteurs de renom du commerce d’art nazi, tels que, par exemple, Hildebrand Gurlitt9. En octobre 1943, Mannowsky visita le Kunsthistorische Forschungsstätte (KHF) [Centre de recherche en histoire de l’art] alors en pleine construction et qui se trouvait sous la direction d’Hermann Bunjes (1911-1945), lequel, à cette occasion, ne manqua certainement pas de prodiguer ses conseils à Mannowsky pour ses achats destinés au musée. Durant ses déplacements à Paris, outre ses achats, Mannowsky accomplit d’autres missions encore au nom de la ville de Francfort. Au début du mois de mars 1944, Krebs, le maire, suscita une rencontre à Paris entre Mannowsky et Kurt von Behr, directeur de la Dienststelle Westen [Bureau Ouest] et coordinateur de la Möbel Aktion ou M-Aktion [Action meubles]10. C’est avec lui que Mannowsky négocia la livraison de meubles et d’appareils ménagers pour la ville de Francfort endommagée par les bombardements11. Au cours de ce dernier voyage, il réussit à « acquérir encore quelques pièces importantes en vue de l’enrichissement des collections12 ». Pour finir, « l’offre de biens artistiques de haute valeur » était « devenue plutôt plus importante » au début du mois de mars 1944 que lors de son dernier séjour à Paris en octobre 1943.

Après-guerre

En tant que membre du Parti des travailleurs national-socialiste allemand (NSDAP) et membre bienfaiteurs des Schutzstaffel (SS), Mannowsky fut suspendu de ses fonctions le 12 mai 1945. Après que l’instance juridique de la Chambre d’arbitrage l’eut qualifié de simple Mitläufer [« suiveur »], la ville de Francfort-sur-le-Main le réintégra dans ses fonctions, le 1er août 1946. Le musée finit par restituer au gouvernement français une partie de ses acquisitions parisiennes dans les dernières années de la direction de Mannowsky, en passant par le Central Collecting Point à Wiesbaden dirigé par le gouvernement militaire américain de la Hesse. L’autre partie demeure aujourd’hui encore la possession du musée. À propos de ses achats en France, Mannowsky prétendait toujours, en 1947, n’avoir « profité d’aucune situation de détresse, ni financière ni d’aucune autre sorte, pour accéder à des conditions d’acquisition plus avantageuses1 ». Le directeur contesta en outre avoir eu recours à la Besatzungsgeld [monnaie d’occupation]2. Ses souvenirs contredisent ainsi en des points cruciaux ses propres communiqués contenus dans les rapports qu’il rédigeait à propos de ses déplacements. Mais il omit aussi de dire qu’il avait vraisemblablement aussi acquis précisément des pièces arrivées sur le marché de l’art à la suite des spoliations systématiques et légalisées, perpétrées contre la population juive à Paris. Le 1er octobre 1948, Walter Mannowsky fut mis à la retraite.