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24/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Robert Scholz fut l’une des voix dominantes de l’idéologie de l’art sous le Troisième Reich et l’un des principaux responsables des pillages artistiques perpétrés en France par les nazis.

Carrière professionnelle et politique

Après la Première Guerre mondiale, Robert Scholz (1902-1981) a d’abord étudié la peinture à Berlin, avant de travailler à partir de 1930 comme critique pour des journaux berlinois. Une fois les nazis au pouvoir, Scholz est devenu le moteur de la lutte menée en Allemagne contre l’art moderne contemporain. C’est lui qui a poussé Alfred Rosenberg, l’idéologue du parti nazi, à déclencher à Berlin la « controverse des expressionnistes ». Les débats autour de la future orientation du Troisième Reich dans le domaine des beaux-arts allaient aboutir, en 1937, à la campagne de retrait de l’« art dégénéré » des musées publics allemands1. Représentant Rosenberg, Scholz a été membre de la commission qui était en charge de cette opération et décidait du sort ultérieur des œuvres condamnées. À ce moment-là, il avait déjà rejoint les rangs de la NSDAP depuis deux ans et il dirigeait la Hauptstelle Bildende Kunst [Bureau central des beaux-arts, rebaptisé en 1940, Amt Bildende Kunst, Office des beaux-arts] au sein de l’institut berlinois de Rosenberg, « commissaire du Führer pour la supervision de l’ensemble de la formation et de l’éducation intellectuelle et idéologique du parti ». À partir de 1937, Scholz a également assuré la fonction de rédacteur en chef de la revue Die Kunst im Dritten Reich [L’art sous le Troisième Reich]. Deux ans plus tard, il a pris en outre la direction du Museum Moritzburg de Halle-sur-Saale2.

Le rôle de Scholz en France

Scholz n’a pas été associé à la création de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) [« Unité d’intervention Rosenberg »], qui a confisqué en France, dès l’automne 1940, les collections d’art appartenant à des Juifs. Mais en vertu de la position qu’il occupait au sein de l’institut de Rosenberg, il a tout de même réussi à gagner, à partir du début de 1941, de l’influence sur la formation du « Sonderbstab Louvre » [« Unité spéciale Louvre »] de l’ERR, qui exécutait ces saisies. Rosenberg a renforcé l’autorité de Scholz en le nommant en 1941 chef de la Section spéciale des beaux-arts de l’ERR (Sonderstab Bildende Kunst) et en lui confiant au printemps 1942 la direction scientifique exclusive de cette unité désormais rebaptisée « Arbeitsgruppe Louvre » [groupe de travail Louvre]1. C’est donc Scholz qui, jusqu’à la fin de la guerre, allait déterminer pour l’essentiel les modes opératoires de l’ERR lors de la confiscation des biens artistiques dans les territoires occupés de l’Est et de l’Ouest et décider de ce qu’il adviendrait ensuite des œuvres spoliées. Grâce à son engagement personnel, plusieurs milliers d’œuvres qui avaient été mises à l’abri sous la terre, dans la mine de sel d’Altaussee en Autriche, n’ont pas été détruites au printemps 1945 mais sont tombées intactes entre les mains des troupes américaines2.

Après que les confiscations eurent commencé en France, Scholz a réussi à empêcher que les agents de la commission spéciale mandatée par Hitler pour la constitution du futur musée de Linz [Sonderauftrag Linz] ne puissent faire largement main basse sur les œuvres spoliées3. Ses efforts ont abouti à une déclaration d’Hitler, dans laquelle le dictateur assurait à Rosenberg, « jusqu’après la guerre », la gestion exclusive des biens artistiques saisis. Plus tard aussi, quand les objets volés en France ont été transférés dans le dépôt souterrain d’Altaussee, qui servait également à la commission spéciale de Linz, Scholz est parvenu à dissocier les fonds de Rosenberg des œuvres destinées au musée voulu par le Führer et à imposer une administration séparée de ces deux ensembles4.

L’adversaire de Göring et de von Behr

Lors des confiscations opérées en France, Scholz a cherché à s’emparer d’un ensemble choisi d’œuvres exceptionnelles qui pourrait servir de monnaie d’échange dans les futures négociations de paix1. Cette stratégie allait à l’encontre des intérêts de Hermann Göring, qui prêtait son soutien logistique à l’ERR et pouvait compter sur un homme de confiance au sein de l’« Unité spéciale Louvre », Kurt von Behr. Les deux fonctionnaires du Troisième Reich entendaient organiser le pillage à grande échelle des biens artistiques appartenant à des Juifs, afin de pouvoir disposer d’une manne d’objets pour leur usage personnel. Dans un volumineux rapport de révision, Scholz critiqua en 1942 la façon dont l’ERR avait procédé jusqu’alors à cet égard. Ce n’est qu’en janvier 1943, au moment où se profilait la défaite de Stalingrad, qu’il réussit à imposer sa vision des choses à Rosenberg : celui-ci ordonnait alors à Gerhard Utikal, le chef de l’ERR, que les œuvres d’art saisies par ses agents ne soient plus remises à Göring. Il sépara en outre les activités de Kurt von Behr de celles de l’ERR. Désormais, le baron n’effectuerait plus d’autres confiscations que celles organisées dans le cadre de la « M-Aktion » [« Action meubles »], qui consistait surtout à tirer profit des biens domestiques laissés derrière elles par les familles déportées2.

La saisie des œuvres d’« art dégénéré »

À côté de sa stratégie visant à limiter l’étendue des confiscations, Scholz s’est aussi appliqué en France, comme il l’avait déjà fait précédemment en Allemagne, à mettre à part l’« art dégénéré ». Fort de cette politique, il parvint au début de 1941 à convaincre Rosenberg de l’avantage que l’ERR pourrait tirer des œuvres de l’impressionnisme et de l’expressionnisme français en les troquant contre des peintures de maîtres anciens qui avaient la préférence de Göring. Scholz fit lui-même établir en 1941 une listes des œuvres saisies qu’il jugeait susceptibles d’être cédées pour échange à des marchands d’art parisiens1. Dans le Reich allemand, ces œuvres utilisées à des fins de troc étaient considérées comme de l’« art dégénéré ». Entre mars 1941 et novembre 1943, 28 transactions de ce genre ont été réalisées au total par l’ERR, au moins 93 tableaux volés à des Juifs ont servi de monnaie d’échange lors de ces opérations2. Une vingtaine d’entre eux sont encore tenus aujourd’hui pour perdus, parmi lesquels une Nature morte aux fruits (53 × 65 cm) de Georges Braque et une Route de campagne avec des paysans (73 × 92 cm) de Camille Pissarro3.

Après l’exclusion de von Behr de l’ERR, Scholz assura également le contrôle des contrats qui réglaient ce type d’échanges, devenant ainsi personnellement responsable de ces transactions4. En 1943, le chef du « Sonderstab Bildende Kunst » [« Unité spéciale Beaux-Arts »] veilla en outre à ce qu’aucune œuvre d’« art dégénéré » saisie dans le cadre de la « Möbel-Aktion » ne soit transférée en Allemagne5. Jusqu’alors, il était arrivé que, lors de la confiscation des biens domestiques, les agents de von Behr trouvent aussi des œuvres des classiques de l’art moderne et qu’ils les envoient en Allemagne avec les autres meubles saisis. Ce mobilier était destiné à venir au secours des populations qui avaient perdu leurs biens lors des bombardements des villes allemandes. On peut supposer que la destruction d’œuvres modernes perpétrée au Jeu de Paume le 23 juillet 1943 est également due à l’influence de Scholz. Les agents de l’« Arbeitsgruppe Louvre » ont brûlé ce jour-là plus de six cents tableaux et travaux graphiques dans le jardin des Tuileries6. Un autodafé similaire avait déjà eu lieu à Berlin en 1938, à la suite du retrait des œuvres d’« art dégénéré » des musées allemands. En sa qualité de membre de la commission chargée de décider ce qu’on devait faire de ces œuvres mises à l’index, Scholz avait été indirectement impliqué dans cet épisode7.

Après la guerre

Après la fin de la guerre, les troupes américaines ont arrêté Scholz et l’ont soumis à des interrogatoires circonstanciés sur sa participation au pillage des biens artistiques commis par les Allemands. On a pu s’appuyer pour ce faire sur une masse considérable de documents que Scholz avait lui-même veillé à sauver à temps1. Le fonctionnaire a tenté de se défendre des charges qui pesaient contre lui en se présentant comme un simple agent exécutif des instructions de Rosenberg et de Göring. Même si les officiers alliés chargés de l’interroger n’ont pas été dupes de cette stratégie, Scholz n’a pas été inculpé pour ses actes2. Après la guerre, il a vécu en Bavière et a publié des ouvrages dans lesquels il a continué de propager des idées esthétiques et une vision de l’art d’obédience nazie3.

Mise à jour de la recherche

La rédaction remercie Didier Schulmann de nous avoir indiqué un fonds d'archives qui n'a pas pu être consulté par l'auteur de la notice. Cette précision a été ajoutée le 28/02/2022. 

Scholz est jugé in abstentia du 1er au 3 août 1950 par le Tribunal Militaire de Paris, lors du même procès que Georg Ebert, Gerhard Utikal, Bruno Lohse, Arthur Pfannstiel et Walter Andreas Hofer. Il est condamné par contumace à dix ans de réclusion et d’interdiction de séjour ; Hofer écopa de la même peine.

Le dossier d’instruction de ce procès est consultable au Dépôt central de la Justice militaire, Le Blanc (Indre), Dossier 737 Ebert George, Utikal Gérard, Scholz Robert, Lohse Bruno, Hofer Walter, Pfannstiel Arthur, TMP Paris 983 ; 984, 9 août 1951.

Voir : Jean-Marc Dreyfus, « "10 890 tableaux, 583 sculptures, 583 tapisseries, 2 477 pièces de mobiliers anciens, 5 825 pièces de porcelaine" Le procès de l’ERR et du pillage des oeuvres d’art, Paris, 1950 », Histoire@Politique, n° 35, mai-août 2018 [en ligne, www.histoire-politique.fr].