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Catherine Iaremtchenko, née Kachtanoff, était une employée de la branche parisienne de la Dienststelle Mühlmann (« Service Mühlmann », chargé de procurer des œuvres d’art aux dignitaires nazis), et menant parallèlement des activités d’espionnage.

Un agent double secrétaire de Josef Mülhmann ?

Catherine est la fille de Nicolas Kachtanoff (1874-1950) et de Catherine Koudriavtzeff, deux émigrés russes qui fuient la révolution russe et arrivent en France au début des années 1920. Le 17 juillet 1927, elle épouse son compatriote Nicolas Iaremtchenko (1900-1952), établi comme antiquaire au 95, rue de Rennes à Paris.

L’activité exacte de Catherine Iaremtchenko pendant la guerre est connue grâce à l’enquête engagée à son sujet par le gouvernement français à la Libération. En décembre 1945, un rapport signé « K. Iaremtchenko » est communiqué à Albert Henraux, président de la Commission de récupération artistique, par la section des Études culturelles de la Direction générale des études et recherches1 (DGER). Le document détaille les achats d’œuvres d’art réalisés en France durant l’Occupation par les services du Reichskommissariat de Hollande, dont le siège se situait à La Haye. L’informatrice indique avoir accepté un poste de secrétaire interprète dans la section des Beaux-Arts de l’organisme à partir de février 1941 afin d’espionner et de consigner les transactions nazies.  Elle invoque parmi ses motivations la volonté de faciliter les restitutions françaises à l’issue du conflit.

Son rapport expose ainsi l’organisation de la section du Reichskommissariat dédiée à ces achats, établie à Paris, dans l’hôtel Majestic, et dirigée en haut lieu par le nazi autrichien Arthur Seyss-Inquart2 (1892-1946), Gauleiter des Pays-Bas. Le service se compose notamment de Eduard Plietzsch (1886-1961), Franz Kieslinger (1891-1955), Kajetan Mühlmann (1898-1958) et de son demi-frère, Josef Mühlmann (1886-1972), sous les ordres duquel était placée Catherine Iaremtchenko. Surnommée « Nicole », elle indique avoir eu pour fonction principale de seconder Josef Mühlmann dans ses démarches administratives et ses achats réalisés à Paris. Cette position privilégiée lui permettait « de noter plus facilement chaque objet en particulier ainsi que le nom de celui où il a été acheté3 », tant par Kai Mühlmann que par d’autres services nazis.

Au cours de cette période, elle indique avoir également été amenée à côtoyer quelques-uns des grands responsables de la saisie des œuvres d’art en France, tels que le baron Kurt von Behr, chef de l’ERR. Elle a aussi rencontré le baron von Tieschowitz et Felix Kuetgens – tous deux membres du Kunstschutz4. Grâce aux nombreuses relations de Kajetan Mühlmann dans les plus hautes sphères d’influence nazies, les activités de la section des Beaux-Arts prennent rapidement de l’ampleur, raison pour laquelle le service était également connu sous le nom de Dienststelle Mühlmann (« Service Mühlmann »).

L’action secrète menée par Catherine Iaremtchenko se développe également. Elle noue des liens avec la Résistance à titre d’informatrice privée à partir de fin juillet 1943. L’arrestation de son contact le 22 février 1944 interrompt sa relation avec ce réseau de contre-espionnage. L’avocat Aur Payen, son complice dans la Résistance et avocat à la cour d’appel de Paris, la met alors en contact avec un agent du réseau Béarn début mars 19445.

L’engagement auprès de la Récupération artistique à la Libération

Elle dit toutefois avoir été contrainte de quitter Paris le 11 août 1944 pour suivre le service, dont le siège est transféré à Vienne, non sans avoir confié l’ensemble de ses notes à Aur Payen. Catherine Iaremtchenko reste deux mois dans la capitale autrichienne à travailler pour la Dienststelle Mühlmann. L’entrée des troupes alliées en Hollande à l’automne 1944 semble ébranler le service, et C. Iaremtchenko décide de se cacher pour ne plus avoir à collaborer. Elle est cependant dénoncée à la Gestapo en janvier 1945 avant d’être envoyée au camp Maria-Lanzendorf1, à quelques encablures de Vienne.

Elle y est contrainte d’accepter une mission d’interprétariat et est affectée au contrôle de la main-d’œuvre étrangère. Au cours de cette période, l’ex-espionne indique avoir profité de cette position pour détruire des éléments compromettants sur des ouvriers français. À la fin du mois de mars, elle se réfugie dans les Alpes tyroliennes, aux alentours de Salzburg, jusqu’à l’arrivée des troupes américaines, qui lui délivrent un permis de séjour et l’embauchent comme interprète2. Lorsque Catherine Iaremtchenko donne ces informations au 2e Bureau français d’Innsbruck en novembre, l’importante documentation qu’elle a collectée pendant et après la guerre arrive en la possession du capitaine Jean Vlug, agent de la récupération artistique néerlandaise. Ce dernier utilise ces nouvelles informations pour établir le rapport qu’il signe le 25 décembre 19453.

Un mois plus tard, Catherine Iaremtchenko est finalement confirmée dans son statut de collaboratrice de la section des Beaux-Arts et de la Direction de la sûreté du Gouvernement militaire de la zone française d’occupation (GMZFO). Elle prend alors attache avec la Commission de récupération artistique, à laquelle elle propose son aide :

« Je voudrais entrer dans un service français officiel, qui pourrait me donner la possibilité de continuer le travail que j’ai entrepris, il y a presque cinq ans, de retrouver les œuvres d’art enlevées et de mettre mon travail et les renseignements que je possède au service de ma patrie d’adoption : la France. […] Je pourrai naturellement donner un renseignement complet sur chaque objet et faciliter infiniment le travail de rechercher les œuvres d’art, car je suis la seule personne qui connaît exactement le travail du service du Dr Kai Mühlmann en France4. »

Rapatriée en France à la fin des hostilités, elle est cependant inculpée d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État avant de bénéficier d’un non-lieu en juillet 1947, qui lui permet d’intégrer les services français de Réparations-Restitutions à Vienne. Ses connaissances linguistiques et ses relations avec plusieurs personnalités autrichiennes antinazies, qui y occupent des postes municipaux et régionaux après la guerre, permettent de faciliter ce travail de récupération. Catherine Iaremtchenko décède à Paris en 1950, à l’âge de 43 ans.