Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Contraint de fermer sa galerie berlinoise en 1935 et de fuir l’Allemagne en 1937, Arthur Goldschmidt devint l’un des gérants de la société Paul Graupe et Cie à Paris. Il fut en relation avec Karl Haberstock et Hans Wendland, avant de partir pour La Havane en 1941.

La société J. & S. Goldschmidt (1907-1937)

Deux frères, Jacob et Selig Goldschmidt, avaient ouvert boutique à Francfort au milieu du XIXe siècle pour y faire commerce de livres anciens, de judaïca et d’objets d’art. Au fil des décennies, la société familiale « J. & S. Goldschmidt » avait su s’assurer une clientèle de particuliers et de marchands ; elle s’était installée dans un bel immeuble de la Kaiserstrasse et, attentive au développement du marché américain, avait ouvert une antenne à New York en 19051. Arthur Goldschmidt, petit-fils de l’un des deux fondateurs, débuta dans le métier en 1907 à la maison mère de Francfort puis rejoignit une nouvelle succursale créée en 1921 à Berlin, sur la Viktoriastrasse, dans ce quartier en bordure du Tiergarten où se trouvaient alors nombre de galeries de renom2. Tout était en place pour que la société consolide son rayonnement, et les prémices d’une affaire d’envergure ouvraient de nouvelles perspectives. La société « J. & S. Goldschmidt » avait en effet pris quelques parts dans le consortium qui s’était rendu acquéreur des pièces exceptionnelles du trésor des Guelfes, vendues par le duc de Brunswick au début du mois d’octobre 1929. La crise économique consécutive au krach boursier survenu à New York à la fin du même mois compromit lourdement la suite de cette affaire.

La situation s’assombrit encore tandis que se mettaient en place les mesures antisémites du IIIe Reich visant à exclure les Juifs de la vie économique. Dans ce contexte peu favorable, Arthur Goldschmidt ferma les salles de la Viktoriastrasse en 1935 et s’installa à proximité, Bellevuestrasse, comme sous-locataire d’une grande maison de ventes berlinoise, celle de Paul Graupe, avec lequel il renforça dès lors sa collaboration3. En janvier 1937, la gestion de la succursale berlinoise fut transférée à Hertha Sohne, qui connaissait bien la société pour y avoir auparavant exercé comme secrétaire4. Apprenant que Goldschmidt s’était installé en France, la Reichskammer der bildende Künste l’informa en novembre 1937 qu’il ne remplissait plus de ce fait les conditions nécessaires pour y demeurer inscrit, qu’il lui était désormais interdit d’effectuer toute opération commerciale en Allemagne et qu’il devait fermer les galeries de Francfort et de Berlin dans un délai de deux mois. Au début de l’année 1938, l’avocat Reinhard Moral entama les procédures de radiation du registre de commerce. Ainsi prenait fin la société « J. & S. Goldschmidt », quatre-vingt ans après sa création à Francfort.

La société Paul Graupe & Cie (1937-1941)

Arthur Goldschmidt avait en effet quitté Berlin et, après un passage par Londres, avait rejoint Paris en mai 1937. Afin de pouvoir reprendre ses activités, il prit des parts dans la SARL « Paul Graupe & Cie », créée le 8 juillet 1937 et ayant pour objet le commerce de tableaux et d’objets d’art1. Le capital déclaré était de 200 000 F, soit 400 parts de 500 F réparties entre cinq associés : Isidor Riemer (220 parts), Paul Graupe (80 parts), Arthur Goldschmidt (50 parts), Alice Reis (25 parts) et Käthe Simon (25 parts)2. La gestion même de la société était assurée par trois gérants qui, au printemps 1938, étaient Paul Graupe, Käthe Simon et Arthur Goldschmidt. Les gérants avaient les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société et pouvaient donc conclure toute transaction commerciale. Il était cependant stipulé que la signature de deux gérants était nécessaire pour engager la société ; cette prudente disposition fut invoquée par la suite par Paul Graupe pour contester certaines transactions conclues par Arthur Goldschmidt.

La société Paul Graupe & Cie put entreprendre quelques affaires avant le début de la guerre. Elle reçut ainsi plusieurs tableaux et quelques objets confiés en dépôt par le collectionneur néerlandais Fritz Gutmann ; Arthur Goldschmidt se chargea d’en organiser le transfert de Heemstede à Paris dans le courant du mois d’avril 1939. Il conclut également plusieurs ventes, comme celle d’une étude préparatoire de Rubens, La Conversion de saint Paul, à un riche historien de l’art et collectionneur viennois, le comte Antoine Seilern3. Il intervint également à certaines ventes, se faisant adjuger, pour le compte de Duveen, deux grands vases de marbre blanc, exécutés par Clodion, à la vente Pereire de juin 19374.

Le déclenchement de la guerre vint ruiner tous les espoirs de retrouver une certaine prospérité commerciale. Tandis que Paul Graupe était resté en Suisse, où il avait l’habitude de faire de longs séjours durant l’été, Arthur Goldschmidt se trouvait lui à Paris quand les troupes allemandes envahirent la Pologne. Quoique déchu de sa nationalité allemande5, il n’en était pas moins considéré comme ressortissant ennemi par les autorités françaises, et il fut interné à ce titre le 13 septembre 1939, d’abord au stade de Colombes puis au camp de Villebon, près de Chartres6. Libéré par décision de la Commission interministérielle permanente de criblage du 21 octobre 1939, il regagna Paris et s’installa dans un appartement loué sur l’esplanade des Invalides, 4 rue Fabert7. À nouveau interné par les autorités françaises le 13 mars 1940, il fut affecté comme travailleur civil au 143e régiment d’infanterie jusqu’au 26 juillet suivant8.

Cannes (1940-1941)

Arthur Goldschmidt gagna alors le sud de la France et s’installa à Cannes avec sa femme, Anne-Marie Senkel, avec qui il s’était marié à Paris au printemps 19391. Il y restait en relation avec certains de ses collègues allemands exilés comme lui, plus particulièrement Herbert Engel et Alfons Heilbronner, qui se trouvaient à Nice2. Au fil des mois, comme c’était le cas pour tant d’autres réfugiés, sa situation financière devint préoccupante, tandis que la nécessité de quitter la France se faisait plus pressante. La société J. & S. Goldschmidt était dissoute mais il demeurait l’un des trois gérants de Paul Graupe & Cie.

Il avait pu faire venir huit tableaux à Cannes et quelques objets restaient place Vendôme, mais la plus grande partie du stock avait été entreposée dans un garde-meuble parisien, où se trouvaient en particulier les œuvres confiées en dépôt par Fritz Gutmann. Le marchand allemand Karl Haberstock s’intéressait de près au devenir de cette collection. Au début de l’année 1941, il se rendit chez Gutmann, qui cherchait alors à émigrer, et le fit consentir à céder quelques œuvres, dont certaines de celles transférées à Paris en 19393. En février 1941, Haberstock rencontra Goldschmidt à Cannes, qui prit les dispositions nécessaires pour que ceux de ces tableaux qui étaient au garde-meuble lui soient remis4. Si Haberstock avait cherché à rencontrer Goldschmidt pour entrer en possession des tableaux Gutmann, leurs échanges portèrent également sur l’éventualité d’acquérir d’autres œuvres détenues par la société Paul Graupe & Cie. Arthur Goldschmidt, à la recherche d’argent pour financer son départ à l’étranger, accepta de lui céder quatre tableaux hollandais et flamands du XVIIe siècle5.

Goldschmidt restait par ailleurs en contact avec Hans Wendland, un marchand allemand établi en Suisse qui était en affaires avec Graupe depuis une dizaine d’années et détenait avec lui des œuvres en compte partagé. Wendland, qui effectua plusieurs séjours en France durant l’Occupation, se rendit à Cannes au printemps 1941. Il y rencontra Goldschmidt, qui lui remit deux tableaux, l’un de van Dyck et l’autre de Altdorfer6. Wendland lui versa alors la petite somme de 5 000 francs suisses (CHF)7, qui pouvait cependant constituer un apport précieux pour financer un futur départ. 

Paul Graupe, informé seulement a posteriori de cette remise, en exprima un vif mécontentement car, arrivé aux États-Unis au mois de mars 1941, il voulait que ces tableaux lui soient envoyés à New York ou bien soient réglés en dollars, ce que ne faisait pas Wendland8.

La Havane (1941-1945)

Ces transactions ont très probablement contribué à permettre à Arthur Goldschmidt de disposer des moyens nécessaires pour financer son départ. Ne parvenant pas à obtenir un visa d’entrée aux États-Unis, il dut se résoudre, comme bien d’autres, à gagner une autre destination. Quittant Cannes, il fit d’abord étape à Bilbao, où il déposa au consulat britannique quatre des tableaux qu’il avait fait venir de Paris, et prit les dispositions nécessaires pour les envoyer à Paul Graupe1. Rejoignant ensuite Vigo, il embarqua pour La Havane, où il arriva le 3 septembre 1941 après une traversée particulièrement éprouvante à bord du Navemar. Arthur Goldschmidt, qui avait un temps espéré obtenir un visa pour les États-Unis, résida finalement à La Havane jusqu’à la fin de la guerre2. Comme bien d’autres, il semble y avoir vécu de façon parfois précaire.

L’après-guerre à Paris

Après la guerre, Arthur Goldschmidt séjourna d’abord à New York puis à Londres, et revint finalement à Paris, où il reprit quelques activités commerciales, dès lors pour son propre compte1. Il exerça essentiellement en tant que courtier, intervenant en ventes, entretenant ses relations avec des marchands comme Seligmann ou Duveen, recherchant avec patience et discrétion des offres susceptibles d’intéresser ses clients réguliers. Parmi ceux-ci figurait en bonne place le comte Antoine Seilern, établi à Londres depuis 1939. Arthur Goldschmidt lui procura à plusieurs reprises des dessins de maîtres anciens et modernes et, en 1959, vingt ans après lui avoir vendu La Conversion de saint Paul, de Rubens, il lui fit acquérir deux tableaux importants, l’un attribué à Rubens, L’Annonce de la mort de la Vierge, et l’autre de Pittoni, La Sainte Famille. Ces œuvres sont aujourd’hui conservées au Courtauld Institute.

Arthur Goldschmidt est mort en Suisse en 19602.