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Comité ouvrier de secours immédiat (COSI) (FR)

Le Comité ouvrier de secours immédiat (COSI) est un organisme humanitaire créé à Paris pendant l’Occupation qui devint un outil de propagande et de collaboration. Les ventes aux enchères qu’il organise constituent un lieu d’approvisionnement secondaire pour plusieurs marchands parisiens.

Le COSI : création et objectifs

Le Comité ouvrier de secours immédiat (COSI), organisme créé à Paris pendant l’Occupation, a été perçu par plusieurs historiens dans son ambiguïté, d’une part organisme humanitaire et de l’autre support idéologique de propagande collaborationniste1. Récemment l’historien Jean-Pierre Le Crom a approfondi l’origine, le fonctionnement et le rôle du COSI2. Gilles Morin complète cette analyse en 2019 en précisant le rôle et les pratiques des syndicalistes, responsables du COSI3.

Le COSI est créé quelques jours après le premier bombardement allié d’une grande entreprise en France. L’aviation britannique, en attaquant les usines Renault de Boulogne-Billancourt, les 3 et 4 mars 1942, a détruit des maisons et fait des centaines de morts, blessés et sinistrés dans la population ouvrière. À l’initiative de cette création « humanitaire » pour venir en aide aux sinistrés, se trouve un petit groupe de syndicalistes collaborationnistes, plus proche de l’occupant allemand que du gouvernement de Vichy, et qui entretient la base ouvrière des partis de la collaboration.

Lors d’une réunion à l’ambassade d’Allemagne, la proposition en est faite par Charles Vioud (1893-1965), rédacteur de la brochure anticommuniste et antisémite Les Riches doivent payer ; René Mesnard (1902-1945), membre du Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat ; et Jules Teulade (1890-1974), membre du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot4. Le COSI est soutenu par Ferdinand de Brinon (1885-1947), délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, et contrôlé par le représentant de l’ambassade allemande, Rudolf Schleier (1899-1959). Dès sa création, le COSI situe son action sur le plan politique, avec pour ambition de dénoncer les destructions par les Alliés et de renforcer la collaboration franco-allemande. Il est un outil de propagande et de collaboration à destination des milieux ouvriers. Il essaime en province en fondant des comités de sinistrés qui élargissent son action et sa surface sociale.

Les sommes redistribuées aux familles de sinistrés, les frais de fonctionnement du COSI et de ses activités, sont financés par l’amende du milliard infligée aux Juifs de la zone Nord5, mais pas uniquement. « À côté de l’amende du milliard, le COSI a récupéré du mobilier provenant des biens saisis aux juifs par les Allemands et destinés à être distribué aux sinistrés des bombardements. Ce mobilier était entreposé à l’usine Rozan de Montrouge. La distribution de ce mobilier posant des difficultés, le COSI le fera ensuite vendre aux enchères6. »

Le COSI est dissous par une ordonnance du 22 août 19447. Il apparaît que les dirigeants ont mené grande vie, la corruption étant la règle. « On considère que plus de la moitié des sommes mises à sa disposition ont été détournées8. » Reste à retrouver l’argent et sanctionner les responsables.  Aucun de ces deux objectifs ne va trouver de véritable solution. En août 1944, son président René Mesnard et ses collaborateurs s’enfuient en Allemagne et installent le COSI à Tuttlingen. Les responsables et les membres du COSI font face à la justice à partir de septembre 1944. Mesnard est tué en mars 1945. Kléber Legay9 lui succède à la présidence du COSI.

Gilles Morin constate que l’épuration a été bienveillante envers les syndicalistes du COSI10, leur appartenance au COSI étant considérée comme secondaire. L’action humanitaire, effective, l’aurait emporté aux yeux de la justice sur l’engagement collaborationniste. Il estime qu’« à la Libération, la nature exacte du COSI n’a pas été bien comprise. Cette erreur d’appréciation a contribué à minorer son rôle réel, y compris dans l’historiographie11. »

Le COSI et le marché de l’art

Le rôle du COSI sur le marché de l’art n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune recherche de la part des historiens. Les catalogues des ventes qui ont été réalisées à la requête de son président René Mesnard en 1943, figurent dans les archives de la Récupération artistique1. C’est grâce à la ténacité d’un artiste2, le peintre Francis Harburger, que le COSI est identifié en 1948 en tant qu’acteur du marché de l’art. Les archives privées d’Harburger sur ce sujet3 ont été déposées au Mémorial de la Shoah4. Francis Harburger a en effet alerté, en avril 1948, l’avocat Robert Kiefé et le président de la Commission de récupération artistique, Albert Henraux, sur le rôle du COSI.

Une enquête a eu lieu en 1948-1949. Dès le 14 mai 1948, Robert Kiefé5 prévient « de hauts magistrats du  parquet »6. Il a « l’intention de saisir l’avocat général chargé de la répression de la collaboration économique au nom du C.R.I.F.7 ». Il rencontre le juge d’instruction le 15 octobre 1948. De son côté, Albert Henraux interroge le greffier chargé des ventes et lui demande « les relevés des ventes ainsi que les noms des principaux acheteurs ». S’ensuit une correspondance entre les deux hommes entre le 2 mai et le 20 septembre 19488. Le greffier a adressé à Henraux les catalogues de ventes et le nom des acheteurs. Ces catalogues9 révèlent la tenue entre janvier et juillet 1943 de sept ventes de tableaux, gravures, dessins, pastels, eaux fortes ou aquarelles. Henraux porte les faits à la connaissance de Raymond Lindon10, substitut du procureur général près la cour d’appel de Paris, le 25 septembre 194811. Le commissaire du gouvernement près la cour de justice lui répond qu’une instruction est déjà en cours sur cette affaire et qu’une enquête a été ordonnée.

Les informations et documents suivants sont reçus par Albert Henraux :

— Les ventes se sont faites à l’unité ou par lots (de 5 à 10 œuvres).

— Les acheteurs sont identifiés. Certains sont présents à plusieurs de ces ventes.

— Parmi la centaine d’acheteurs identifiés, plusieurs sont connus de la place de Paris12, comme probablement le galeriste Louis Carré, Georges Aubry, Eugène Pouget, Paul Tulino, Jean Schmit et le galeriste Georges Terrisse, ainsi que les commissaires-priseurs Georges Blond, Alphonse Bellier, le docteur Simon, collectionneur et van der Klip (?), directeur de la galerie Berri-Raspail13.

— Les œuvres proposées à la vente, lorsqu’elles sont identifiées, sont très variées. On y trouve des gravures, des aquarelles de peintres réputés (André Lhote, Albert Lebourg, Henri Harpignies, Paul Signac, Othon Friesz, Francis Picabia…), des dessins d’artistes connus (Jean-Louis Forain, Maximilien Luce, Théophile Alexandre Steinlen, François Boucher, Puvis de Chavanne…), des œuvres de maîtres hollandais, des tableaux de Ledoux, d’Othon Friesz, de Charles Kvapil, Léon Zack, André Favory, Théodore Rousseau, Luce, Armand Guillaumin, Harpignies, Félix Ziem…

— Les prix s’échelonnent de 100 à 62 000 F.

Des activités révélées par l’enquête d’un artiste

Francis Harburger (1905-1998) a été spolié1 à Paris, en deux endroits distincts et vraisemblablement selon deux circuits différents :

— Alors qu’il avait entreposé en 1940 une quinzaine de toiles (les siennes et celles de sa collection) dans la chambre forte de l’Alliance israélite universelle (AIU)2, 45 rue La Bruyère, celles-ci sont saisies et envoyées en Allemagne par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) début août 19403.

— Son atelier et son appartement, situés au 15, rue Hégésippe-Moreau dans le XVIIIe arrondissement, sont pillés fin 1942 (ou début 1943), vraisemblablement au titre du pillage des appartements des Juifs, par la « Möbel Aktion »4. « Le COSI a récupéré du mobilier provenant des biens saisis aux juifs par les Allemands »5.

Alors qu’il recherche activement et, sans succès, ses tableaux volés dès son retour en métropole en 1945, c’est en février 1948 qu’il retrouve une de ses œuvres, Les Lavandières6, en vente au marché aux puces de Vanves7. Il rachète cette toile sur le stand d’une vendeuse du marché, Mme Chevalier, et retourne à Vanves plusieurs fois [les 13 et 14 mars] pour comprendre comment cette toile est arrivée là. Il mène l’enquête à Vanves et à Sceaux.

Il consigne ses découvertes dans des notes manuscrites, puis les transmet à Robert Kiefé, avocat, et à Albert Henraux8. Il a rencontré les vendeurs9 du marché aux puces, il a également rencontré (les 18 et 22 mars) le greffier qui a organisé les ventes. Il a aussi été consulter les listes d’adjudications, noté les dates de huit ventes, constaté la présence de tableaux de maîtres vendus à l’unité, et d’autres en lots, ainsi que le nom des acquéreurs. Il a compris que les ventes avaient été réalisées à Sceaux pour le compte du COSI, dont le président était Mesnard.

Harburger transmet alors à Henraux le nom et les coordonnées du greffier de la mairie de Sceaux qui a réalisé ces ventes. Sur les bases de l’enquête menée par l’artiste, Henraux interroge le greffier et récupère les catalogues de ventes et en informe la cour de justice qui a déjà instruit l’affaire, mais dont on ne sait pas actuellement si elle a été classée ou a abouti à un jugement. Au vu des recherches menées à ce jour, on peut estimer que Francis Harburger avait en 1948 mené l’enquête de provenance jusqu’à son terme. Il avait identifié un circuit mafieux et collaborationniste de vente d’œuvres d’art sur un marché parallèle au marché officiel des hôtels de vente aux enchères. Ce marché était connu et fréquenté par certains des acteurs du marché, galeristes et collectionneurs.

Conclusion

Plusieurs questions restent aujourd’hui sans réponse et différentes pistes de recherches mériteraient d’être approfondies. Il reste à déterminer si les ventes de 1943 sont exceptionnelles ou si d’autres ventes d’œuvres d’art ont été effectuées pour le compte du COSI. On ne sait pas, d’après les recherches actuelles, si les prix de vente des œuvres correspondaient ou non aux valeurs du marché. Alors qu’à compter de 1942, les œuvres d’art isolées ou les biens culturels précieux collectés par le Dienststelle Westen dans le cadre de la Möbel Aktion étaient remis à l’ERR, resté compétent pour le « transfert » de ce type particulier de butin, on peut s’interroger sur les liens existant entre le COSI et l’ERR, ainsi que sur la connaissance que les autorités allemandes avaient de ces activités1. Les conclusions de l’enquête judiciaire de 1948 doivent également être recherchées. Enfin, les catalogues de vente se révèlent être une source d’une grande richesse pour les recherches de provenance.