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Commentaire biographique

Jeunesse

Charles Antoine Vignier naît le 8 mai 1863 à Genève, en Suisse (AN, BB/34/466). Les circonstances de son arrivée en France, qu’on estime avoir lieu en 1881 (Hug de Larauze C., 2016), sont mal connues.

Dès 1886, sa présence à Paris est attestée par un événement rapporté par la presse : lors d’un combat à l’épée, le 15 février, Vignier tue le poète Robert Caze (1853-1886) qui l’avait provoqué en duel en raison d’une critique dans La Revue moderniste de décembre 1885 (Ajalbert J., 1939, p. 132-136).

Alors âgé d’une vingtaine d’années, c’est d’abord dans la poésie que s’illustre Charles Vignier, en publiant deux recueils de poèmes symbolistes : Centon, « volume de vers » paru en 1886 et Album de vers et de prose, publié aux Messageries de la Presse, à Bruxelles, en 1888. Les vers de Vignier reçoivent, comme la plupart des textes symbolistes, un accueil critique relativement mitigé, voire franchement hostile. Plus tard, la reconversion de Vignier au profit du commerce d’antiquités est également l’occasion de disqualifier sa pratique poétique : l’ancien écrivain est ainsi évoqué par la Revue d’histoire littéraire de la France comme un « pseudo-Rimbaud genevois qui renonça soudain à la poésie symboliste pour un commerce d’objets d’art japonais qui prospéra » (janvier 1977, p. 109).

Vie professionnelle

Ce commerce d’antiquités est ouvert par Vignier le 24 décembre 1904 (Nasiri-Moghaddam N., 1997, p. 23). Situé au 34 rue Laffitte, dans le 9e arrondissement de Paris, il affiche une spécialité en « Orient. Extrême-Orient. Objets d’art » (Nigro A., 2015, p. 136-168). En 1912, alors que Vignier arrive au terme d’une série d’expositions d’estampes japonaises, la spécialisation de l’établissement s’affine : « JAPON. Objets d’art anciens, estampes » (Nigro A., 2015, p. 136-168). Enfin, le 18 juin 1914, Vignier inaugure sa nouvelle galerie, « Arts d’Asie », au 4 rue Lamennais, à Paris. Cependant, l’explosion de la Première Guerre mondiale le jette rapidement dans de graves difficultés financières.

Vie personnelle

Sur le plan personnel, la naissance de la fille de Charles Vignier, Irène Andrée Jacqueline Leila Vignier, est enregistrée le 16 août 1907 dans le 9e arrondissement de Paris (AP, 1927, actes de mariage du 8e arr.). La mère de l’enfant est Honorine Juliette Vary, née en Meurthe-et-Moselle le 25 juin 1873 : Vignier l’épouse le 5 juillet 1929, en deuxièmes noces, avec pour témoins son frère Émile Vignier, antiquaire, et l’écrivain Abel Bonnard (AP, 1927, actes de mariage du 8e arr.). Cette même année 1929, au cours du premier trimestre, Vignier est naturalisé français (AP, 1929, décrets de naturalisation).

Durant l’intervalle entre la naissance de sa fille Irène et son mariage avec Honorine, Vignier épouse puis divorce, à des dates indéterminées, de Janthe Densmore – une femme dont l’identité précise n’a pu être identifiée. Son patronyme permet cependant de supposer que Janthe Densmore est liée, peut-être en tant que belle-sœur, à Marianne Densmore, la sœur de Charles et Émile Vignier. Le marchand se lie également d’amitié avec le peintre Henri Matisse (1869-1954) (Grammont C., 2018, n. p.), une relation que les deux hommes entretiennent tout au long de leur vie.

Décès

Au début de l’année 1931, Vignier subit une opération dont il peine à se remettre (Penn Museum Archives, 0001.04, Horace H. F. Jayne Director’s Office Records. 1929-1940). Trois ans plus tard, le 6 février 1934, le marchand décède à son domicile, au 4 rue Lamennais à Paris (8e arrondissement) (AP, 1934, actes de décès du 8e arr.). Le conservateur Georges Salles (1889-1966) rend alors, dans une nécrologie parue dans la Revue des arts asiatiques (1934), un vibrant hommage à ce personnage atypique majeur du marché de l’art asiatique et à sa « vie en bourrasque ».

Provenances géographiques de la collection

Expert reconnu en Histoire des arts asiatiques, grâce à ses catalogues de vente et ouvrages scientifiques, Charles Vignier est également renommé pour sa collection d’œuvres proche-orientales et japonaises.

Avec 117 œuvres actuellement conservées dans les musées et recensées, le corpus autour de la collection de Charles Vignier est relativement peu important sur le plan numéraire (Robin J., 2020). Il convient cependant de nuancer ce constat : de nombreuses pièces de la collection Vignier sont des recueils d’estampes, comptabilisés comme des œuvres uniques mais qui en contiennent en réalité des dizaines, voire des centaines.

En raison de ce goût marqué de Vignier pour les estampes, le Japon constitue une part importante de la collection, avec un tiers (41 pièces, soit 35 %) des œuvres recensées. Les pièces chinoises sont de même particulièrement représentées et correspondent, elles aussi, à près d’un tiers de la collection (31 œuvres, soit 27 %).

S’intéressant par ailleurs aux œuvres proche-orientales, Charles Vignier s’est illustré dans la collection de pièces iraniennes, notamment des carreaux de céramique. Plusieurs carreaux (n° inv. 27.194.2) et plats (n° inv. 27.194.3, 28.72, 28.82 et 34.151) sont actuellement conservés au Metropolitan Museum of Art à New York. Les œuvres d’Iran correspondent ainsi à 7 % de la collection (huit pièces), un taux qui augmente encore légèrement si l’on prend en compte la totalité des œuvres proche-orientales présentes dans la collection Vignier.

En parallèle, plusieurs pièces issues du continent africain (au Penn Museum de Philadelphie, plusieurs sculptures, n° inv. AF5118, AF5114, AF5122, AF5119, AF5116, AF5117 et AF5121) et américain (au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, deux portfolios photographiques, n° inv. PA000188 et PA000189) sont présentes au sein du corpus (respectivement neuf et six œuvres) ainsi qu’une œuvre polynésienne et une œuvre indienne : une miniature moghole conservée au Museum of Fine Arts de Boston (n° inv. 07.883).

Cette variété des provenances témoigne du goût de Charles Vignier pour tous les arts extra-occidentaux et de la diversité des œuvres de sa collection. Dans tous les cas, les dates d’entrée dans la collection Vignier sont rarement connues pour les pièces recensées. Il est ainsi complexe de déterminer si ces œuvres ont été acquises sur place ou non par le collectionneur. En l’absence de trace d’un ou plusieurs voyages de sa part, on peut penser que ces pièces ont majoritairement été acquises auprès d’intermédiaires, et non sur les sites.

Datations

Au sein de ce corpus, les œuvres graphiques constituent la grande majorité des pièces collectionnées, avec 54 œuvres concernées, soit 46 % de la collection. Les datations confirment l’importance des estampes au sein de la collection, avec 40 œuvres (soit 36 % des pièces recensées) datant de l’époque d’Edo (1615-1868). Le British Museum conserve ainsi plusieurs de ces estampes ou volumes d’estampes (n° inv. 1929,0731,0.11.1, 1929,0731,0.11.2 et 1929,0731,0.11.3). La deuxième spécialisation majeure de la collection est la céramique, avec 19 pièces (soit 17 %) correspondant pour moitié à des œuvres chinoises de datation relativement récente, de la dynastie Tang (618-907) à la dynastie Ming (1368-1644), et pour moitié à des œuvres relevant des arts de l’Islam, pour la plupart d’époque médiévale. Ces œuvres céramiques correspondent en majorité à des pièces de vaisselle (12 % du corpus total, soit 13 œuvres) ainsi qu’à des éléments d’architecture, tels que les carreaux décoratifs (3 % du corpus total, soit trois pièces).

Accueil et expertise

L’accueil réservé par la presse contemporaine aux expositions auxquelles Vignier participe est à la hauteur de la qualité et de la rareté des œuvres présentées. Parmi les pièces exposées par Vignier, beaucoup apparaissent comme inédites en Europe de par leur qualité ou leur provenance, qu’il s’agisse d’œuvres africaines, chinoises ou coréennes (Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris, juillet 1913).

L’expertise du collectionneur est régulièrement soulignée, de même que ses qualités d’épigraphiste et d’archéologue ainsi que de vulgarisateur (Le Bulletin de la vie artistique, juillet 1925, p. 288-289). Les nombreux catalogues de vente ou de collections qu’il réalise ou auxquels il contribue sont ainsi fréquemment salués comme des apports novateurs et importants à la discipline (Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris, juillet 1913).