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Commentaire biographique

Fils de Gaston Jessé (1847-1876) et de Nathaline Curéli (1850-1931), Gaston René Jean Napoléon Jessé-Curély voit le jour le 3 octobre 1876 dans le château familial maternel de Jaulny (Meurthe-et-Moselle). Il grandit au 20, rue de Provence à Versailles, dans l’hôtel particulier de sa famille paternelle, et effectue sa scolarité au lycée Hoche, à proximité immédiate de la demeure. Après une licence de lettres mention histoire obtenue en 1897 à la faculté de lettres de Paris, il sort diplômé de la section diplomatique de l’École libre des sciences politiques en 1900, avant de compléter sa formation à la faculté de droit de Paris avec un diplôme de bachelier en droit en 1900 et une licence qu’il achève en 1902.

Un diplomate ambitieux

Gaston Jessé-Curély rejoint le ministère des Affaires étrangères en avril 1902 et se voit attaché à la Direction des affaires politiques en qualité de vice-consul puis à la Direction des consulats et des affaires commerciales en 1904 (Archives Diplomatiques, 395QO/377). Il commence sa carrière hors de France la même année à la légation de Tanger, où il est attaché à la mission de contrôle des douanes marocaines. Promu consul suppléant en août 1905, il rejoint cependant la carrière diplomatique en tant que secrétaire d’ambassade un an plus tard. Chargé du corps diplomatique et du conseil sanitaire, il effectue les préparations de l’acte d’Algésiras avant de conclure son séjour au Maroc par une mission auprès du sultan à Rabat, toujours dans ce contexte de crise où les résistances contre l’instauration d’un protectorat français se multiplient. Affecté à la sous-direction d’Europe de la Direction des affaires politiques et commerciales à son retour en France en 1908, il prend les fonctions de secrétaire d’ambassade à la légation de Pékin en 1909 et semble notamment rédiger préalablement le courrier administratif de ses supérieurs (Archives Diplomatiques, 513/PO/A/474). Il quitte Pékin pour se rendre en France en février 1912 et se voit affecté au service des communications de la Direction des affaires politiques et commerciales, puis nommé rédacteur en avril 1913. Gaston Jessé-Curély prend les fonctions de sous-chef du bureau du personnel la même année puis dirige le service du personnel à partir de 1920. Il rejoint cependant le 100e régiment d’infanterie en qualité de lieutenant aux débuts de la Première Guerre mondiale, avant d’être mis à disposition du ministère des Affaires étrangères « pour l’organisation d’agences d’informations télégraphiques à l’étranger » en 1915 (Archives Diplomatiques, 395QO/377).

Promu conseiller d’ambassade en 1921, Gaston Jessé-Curély est amené à exercer les fonctions de son rang au haut-commissariat de Constantinople dès 1922. Si un congé lui est octroyé pour la célébration de son mariage à Paris le 10 janvier 1923 avec Madeleine née Parmentier (1884-1963), il prend par la suite la gérance du haut-commissariat de Constantinople puis occupe le poste de haut-commissaire intérimaire de France à Constantinople à la mort de son supérieur en 1924. Sa gestion des tensions entre la France et la Turquie, très médiatisée, lui apporte alors une certaine reconnaissance de l’opinion publique et le respect des différents corps diplomatiques. Gaston Jessé-Curély se voit gratifié du titre de ministre plénipotentiaire en 1925 avant d’être retenu en France par ordre, mis à la disposition du ministre puis réintégré et placé hors cadre la même année. Il est en effet nommé représentant de la France à la Commission d’évaluation des dommages subis par les Alliés en Turquie, en collaboration avec le ministère des Finances, et poursuit ensuite son activité auprès de l’Office des biens et intérêts privés, qui requiert ses compétences au sein d’une commission consultative chargée de répartir une subvention aux sinistrés français à l’étranger. Il se trouve enfin nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Lisbonne en 1931 et termine sa carrière à Buenos Aires en tant qu’ambassadeur en Argentine, accrédité au Paraguay en 1935 et 1936.

C’est dans le cadre d’un mouvement d’ampleur visant le renouvellement de la plus haute représentation diplomatique française que Gaston Jessé-Curély, faisant également valoir ses services accomplis hors de France, est admis à la retraite par un décret du 25 décembre 1936. À son activité première de diplomate s’ajoutent par ailleurs des fonctions ponctuelles telles que la participation à un conseil de discipline interne ou encore la présidence du jury du concours pour l’admission aux emplois d’attaché d’ambassade et de consul suppléant du ministère des Affaires étrangères. Gaston Jessé-Curély reçoit enfin nombre de décorations tout au long de sa carrière : la décoration chinoise du quatrième degré de l’Épi d’or dès 1912, le grade de chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur (AN, 19800035/1326/53602), les palmes académiques et le grade d’officier de l’Instruction publique en 1914, la décoration italienne d’officier de l’ordre de Santi Maurizio e Lazzaro en 1920, la décoration serbe de l’ordre royal de Saint-Sava en 1927, le grade d’officier de l’ordre de la Légion d’honneur en 1925 puis celui de commandeur en 1933 (Archives Diplomatiques, 395QO/377).

Un personnage singulier

Les notes annuelles d’évaluation du personnel du ministère des Affaires étrangères décrivent un homme sec, froid, distant et sévère. Plusieurs contentieux professionnels et personnels illustrent en effet sa fermeté voire son intransigeance, assortie à l’inflexibilité de sa femme. Une imposante moustache permet par ailleurs de distinguer le personnage doté d’une chevelure châtain et d’yeux gris-bleu pour une taille de 1,71 mètre. Fort de cette apparence singulière et d’une excellente éducation acquise dans les milieux mondains de Versailles, Gaston Jessé-Curély trouve sans mal sa place dans les sociétés aristocratiques du monde entier. Les réceptions auxquelles il participe soulignent par ailleurs l’implication particulière du diplomate dans la vie culturelle : il fréquente les milieux artistiques – il côtoie notamment Saint-John Perse (1887-1975), Jean Giraudoux (1882-1944), Paul Morand (1888-1976) – et le monde du collectionnisme – il bénéficie de la protection du diplomate Philippe Berthelot (1866-1934), lui-même collectionneur d’arts asiatiques. Une ambition se retrouve ainsi dans l’histoire personnelle du personnage, qui affecte une apparence distinctive, entretient des relations privilégiées avec des personnalités réputées et dispose aussi de prestigieuses possessions servant son intérêt pour l’art et la culture.

Constitution de la collection

Fort d’un patrimoine conséquent hérité de la sphère familiale, Gaston Jessé-Curély enrichit également tout au long de sa vie une collection d’objets d’art multiculturelle qui trouve son plus bel écrin au château de Chamerolles (Loiret), acquis par le diplomate en 1924. Malmenés par la Seconde Guerre mondiale et une relation conflictuelle avec l’administration des Monuments historiques, ses idéaux de préservation et de conservation du patrimoine culturel persistent cependant.

Jaulny et Chamerolles

Premier témoignage de l’attachement du personnage au patrimoine et à la culture mais aussi de la transmission familiale de ce goût pour l’art, le château de Jaulny est acquis par l’arrière-grand-père de Gaston Jessé-Curély, le général Jean Nicolas Curély, en 1815 et 1818, puis géré en indivision avec la famille Collignon à partir de 1871.

Gaston Jessé-Curély achète par ailleurs une partie du domaine de Chamerolles vendu aux enchères le 13 novembre 1924, se portant ainsi acquéreur d’un édifice chargé d’un important héritage historique (AD 45, 1J1999). Assurant avoir fait l’acquisition du château « pour le sauver de la ruine », il fait classer différents éléments de l’édifice au titre des monuments historiques dès 1927. Qualifié de « propriétaire exigeant » par ce service, il s’investit en effet pleinement dans la mission de conservation du patrimoine qu’il s’est personnellement attribuée, supervisant les travaux d’entretien de son domaine avec attention et clamant : « Nous avons, ma femme et moi, organisé Chamerolles en véritable musée » (AD 45, 179W35438).

Une collection fantôme

Cette entreprise se trouve néanmoins remise en cause par les dommages que subit le château durant la Seconde Guerre mondiale, les troupes allemandes occupant et pillant le domaine du 16 juin au 29 septembre 1940 puis du 13 au 16 août 1944. Dans ce même contexte, la collection de Gaston Jessé-Curély subit également des dommages allant de la destruction au détournement utilitaire d’objets d’art ou encore de l’immersion à l’incendie de pièces de mobilier. Ces dégradations s’ajoutent à autant de disparitions du patrimoine mobilier et de vols perpétrés par les militaires allemands à Chamerolles, qui procèdent ainsi à des spoliations sous les yeux du couple de propriétaires, ruinant un projet culturel et patrimonial initié de longue date. Plus de soixante-cinq tableaux, objets d’art et pièces de mobilier font ainsi l’objet d’une réclamation de Gaston Jessé-Curély et figurent sur le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre de 1939-1945 (1947-1948). De nombreuses pièces d’argenterie sont alors recherchées, des couverts chiffrés aux plats de différentes formes, pour certains de style Louis XV, aux décors naturalistes de têtes de faune, feuilles, rubans… Dans le tome IV, Argenterie, céramique, objets précieux, Gaston Jessé-Curély revendique par ailleurs, entre autres « bibelots » selon ses mots, la possession d’une boîte aux armes de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), ministre des Affaires étrangères sous la Restauration. Une lettre de réclamation adressée en premier lieu par le propriétaire de Chamerolles aux troupes établies sur le domaine le 14 août 1940 étoffe encore la liste des précieux objets disparus : cristaux, collection d’étoffes, de dentelles et de broderies anciennes, livres anciens et modernes ou encore vins fins, eaux-de-vie et liqueurs, jusqu’aux objets d’usage courant (AD 45, 179W35438). Sa collection picturale semble quant à elle monumentale d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Le diplomate témoigne ainsi : « Il y avait à Chamerolles, encadrés ou suspendus aux murs, environ sept cents tableaux et dessins anciens. » Le tome II du Répertoire des biens spoliés, consacré aux tableaux, tapisseries et sculptures, révèle le prestige de ces pièces qui comptent parmi leurs auteurs Jean-Jacques Henner (1829-1905), Camille Corot (1796-1875), Théodore Rousseau (1812-1867), Édouard Manet (1832-1883) et Camille Pissarro (1830-1903). Ce goût pour les peintres du XIXe siècle se trouve néanmoins nuancé par les représentations d’une bécasse selon Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) ou encore d’une noce par David Teniers (1610-1690), également recherchées par Gaston Jessé-Curély. Si la collection évoque différentes époques de l’histoire de l’art, les thématiques qu’elle aborde sont tout aussi diverses : personnages féminins, portraits, sujets religieux, nus, scènes de genre, paysages marins… Les dessins représentent par ailleurs une part conséquente du patrimoine pictural de Gaston Jessé-Curély, qui déplore en particulier la destruction de trois ou quatre cents dessins anciens brûlés selon lui par l’armée allemande (AD 45, 179W35438). Malgré l’attachement personnel du collectionneur à ces objets, sa conscience patrimoniale et son appréhension monétaire des pièces accumulées, l’imprécision des descriptions qu’il fournit semble confirmer le caractère amateur de la démarche entreprise par le propriétaire de Chamerolles. La diversité du patrimoine mobilier du collectionneur, riche d’un grand nombre de pièces exotiques, semble par ailleurs faire précisément écho aux déplacements professionnels effectués par le diplomate au cours de sa carrière (tapis d’Orient, miniatures persanes, céramiques portugaises, peaux de renard argentines…). Le diplomate s’investit ainsi professionnellement d’un objectif de transmission de la culture mais aussi personnellement d’une mission de conservation de l’art et du patrimoine.

Les dons Jessé-Curély au musée Cernuschi

Le poste de secrétaire d’ambassade qu’il occupe à la légation de Pékin entre 1909 et 1912 lui permet de s’inscrire dans le milieu des sinologues de l’époque. Il entretient par exemple une relation d’amitié avec Victor Segalen (1878-1919), figure de ce domaine. Si la collection d’arts asiatiques de Gaston Jessé-Curély, qui apparaît tout particulièrement riche avant 1940 (estampes japonaises, vases de Chine et du Japon, grès japonais anciens, potiches chinoises du XVIIe siècle, laques de Coromandel, des typologies d’objets correspondant aux articles d’exportation populaires dans le goût européen de l’époque), subit également les pillages dont le château de Chamerolles fait l’objet, les œuvres des différents dons qu’il concède au musée Cernuschi entre 1912 et 1914 y restent conservées, légitimant ainsi sa qualité de collectionneur. Ami d’Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932), conservateur du musée Cernuschi (Segalen V., 2004, p. 28), Gaston Jessé-Curély fait don de soixante-dix-neuf estampages chinois (MC, 5331 à MC, 5409) le 14 juin 1912 et d’un estampage de Guanyin selon Wu Doazi (MC, 5421) le 25 août de la même année à l’adresse de l’établissement, auxquels s’ajoutent un don non renseigné de cinq estampages bouddhiques (MC, 5551 à MC, 5555) effectué entre le 25 novembre 1912 et le 15 novembre 1913 (le don manuel impliquant l’absence de documents notariés) et un dernier don concernant un mingqi guerrier Tang (MC, 5610) officialisé le 5 mars 1914. Soixante des estampages offerts par Gaston Jessé-Curély reflètent les pierres sculptées du Wu Liang Ci 武梁祠, répondant aux dons précédents et aux recherches d’Édouard Chavannes (1865-1918). Du fait du manque crucial d’informations relatives notamment au contexte d’acquisition de ces estampages, la datation de ces œuvres n’est arrêtée qu’entre 1786, date de la redécouverte du site, et 1912, le collectionneur quittant Pékin le 13 février 1912. Si, malgré le manque d’informations contextuelles, la collection cédée par le diplomate au musée Cernuschi conserve un poids scientifique certain, notamment pour l’étude et la conservation des vestiges chinois qu’elle convoque, elle renferme une importante valeur historique en qualité de dernier témoin matériel du patrimoine d’envergure constitué par ce collectionneur, l’ampleur et la diversité de la collection aujourd’hui disparue exprimant l’envergure de ses ambitions et attestant indiscutablement d’une véritable sensibilité à l’art.